Suppression du mot « race » de la législation
Deuxième séance du jeudi 16 mai 2013
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à supprimer le mot « race » de la législation. (nos 218, 989)
Présentation
La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Alfred Marie-Jeanne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Cette proposition de loi a pour objet de supprimer le mot « race » de la législation française.
Le concept de race, chacun le reconnaît, a servi de fondement aux pires idéologies et a conduit à la mort de millions d’êtres humains. Ce concept scientifiquement aberrant n’a pas sa place dans l’ordre juridique, même si c’est pour condamner toute discrimination fondée sur une prétendue race.
Sa suppression ne fera évidemment pas disparaître le racisme. Elle ôtera cependant au discours raciste, hydre à nouveau rampante, la forme de légitimation de l’existence des races qu’il peut tirer de la présence de ce mot dans la législation.
Vouloir maintenir à tout prix le mot « race », n’est-ce pas en effet admettre implicitement son existence ?
Le code pénal se réfère à « l’appartenance réelle ou supposée à une race ». C’est un comble ! Qu’est-ce que « l’appartenance réelle à une race » ?
La biologie et la génétique nous enseignent que la race humaine est une. La langue du droit ne doit pas employer celle des préjugés, au motif douteux que seule cette dernière serait compréhensible par le citoyen.
Les mots ont leur importance et comme l’a écrit si pertinemment Albert Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».
Le bannissement de ce terme a été proposé à plusieurs reprises au cours des dix dernières années, par le groupe socialiste ainsi que par le groupe auquel j’appartiens. En 2003, le groupe communiste et républicain obtint qu’une proposition de loi proche de celle que je vous présente aujourd’hui soit discutée en séance publique, avec pour rapporteur notre ancien collègue Michel Vaxès. Cette proposition de loi a été défendue également par plusieurs d’entre nous. Le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, lors de la révision constitutionnelle de 2008, plusieurs membres actuels du Gouvernement – le Premier ministre, la garde des Sceaux, le ministre de l’intérieur, le ministre délégué aux relations avec le Parlement, le ministre de l’outre-mer, pour n’en citer que quelques-uns – l’ont défendue lorsqu’ils siégeaient sur les bancs de l’opposition.
Chacune de ces initiatives de suppression du terme « race » a été repoussée par la majorité de l’époque, sous des prétextes divers, en affirmant à chaque fois qu’elle partageait l’objectif, mais qu’il fallait attendre, créer un groupe de travail, étudier encore, que l’heure n’était pas venue, que ce n’était pas mûr et que sais-je encore ?
Le Président de la République ayant pris l’engagement de supprimer le mot « race » de la Constitution, j’ai de bonnes raisons d’espérer que cette suppression pourra au moins être opérée dans notre législation, pour commencer.
L’histoire du concept de race en droit français prouve une certaine malléabilité de son emploi selon les circonstances et les enjeux. Au début, le terme « race » a servi de fondement aux discriminations racistes. Il sous-entendait déjà, de facto, toute la législation coloniale. S’il n’apparaissait pas expressément dans le Code noir élaboré par Colbert et promulgué en 1685, il va de soi qu’un esclave est noir. La seconde version du Code noir, édictée en 1724, emploie les mots « esclave » et « nègre » par opposition aux blancs. C’est cependant sous Vichy, avec la législation antisémite, que la race est véritablement devenue une catégorie juridique en droit français, avec le statut des juifs de 1940.
Après 1945, ce mot n’est plus employé que pour prohiber les comportements racistes. Il a été introduit subrepticement dans le préambule de la Constitution de 1946. Je dis : « subrepticement » à dessein, car les travaux préparatoires de ce préambule que j’ai étudiés révèlent en effet que l’amendement qui a introduit le mot « race » proposé par Paul Ramadier prévoyait d’inscrire les termes « sans distinction de sexe, de religion ni de croyance ». Ma surprise a été grande lorsque j’ai constaté que, dans le texte établi après une suspension de séance, le mot « sexe » a été remplacé par celui de « race », en contradiction avec l’amendement adopté et sans aucune explication.
En 1958, la formule de 1946 ne figurait ni dans l’avant-projet établi par le Gouvernement, ni dans les avis du Comité consultatif constitutionnel et du Conseil d’État. Ce n’est qu’in extremis, sans qu’on sache si cet ajout donna lieu à un débat, que le mot « race » fut inséré en Conseil des ministres à l’article 2, devenu l’article 1er en 1995.
Aujourd’hui, le mot « race » et ses dérivés apparaissent dans la partie législative de neuf codes – dont le code pénal, le code de procédure pénale, le code du travail ou le code du sport – et dans treize lois non codifiées. Au total, cinquante-neuf articles sont concernés. C’est évidemment l’ensemble de ces textes qu’il faut toiletter, et non les seuls articles visés initialement par la proposition de loi.
Il faut, cela va de soi, que la suppression du mot « race » de la législation ne diminue en rien l’efficacité de la lutte contre le racisme. Sur ce point, la proposition de loi dans sa rédaction initiale soulevait certaines difficultés. Elle supprimait purement et simplement les termes « race » et « racial » des dispositions dans lesquelles ils étaient accompagnés des mots « origine » ou « ethnie ». Par ailleurs, dans les dispositions où le mot « race » était présent sans que les mots « origine » ou « ethnie » ne le soient, il était proposé de substituer le mot « ethnie » au mot « race » ou l’adjectif « ethnique » au mot « racial ». Je pense que cette option comportait un risque, certes faible mais réel, de créer un vide juridique dès lors que ni l’origine ni l’ethnie ne sont des synonymes du mot « race ».
Après avoir consulté de nombreux experts de la lutte contre le racisme, œuvrant dans le secteur associatif, ainsi que des professeurs de droit, la solution à laquelle je suis parvenu, et qui a été adoptée par la commission des lois, est de substituer le mot « raciste » ou un membre de phrase le comprenant, aux mots « race » et « racial ». L’« incitation à la haine raciale » devient ainsi « l’incitation à la haine raciste ». Les « persécutions raciales », les « persécutions racistes », les « discriminations raciales », les « discriminations racistes » et cætera.
Cette solution fait disparaître toute idée de légitimation de la notion de « race », tout en garantissant parfaitement la sécurité juridique. La substitution opérée est juridiquement neutre : tous les comportements racistes incriminés sous l’empire de la législation actuelle le resteront de manière rigoureusement identique avec la loi issue de nos travaux. Politiquement, le message est simple et clair : « les races » n’existent pas, le racisme, si, et la France le combat fermement. Juridiquement, l’état du droit n’est pas altéré.
Dès lors qu’un substitut adéquat a été trouvé, les arguments opposés par la majorité d’hier à la suppression proposée tombent d’eux-mêmes. Il n’y a aucun risque de créer un « vide juridique » dans la lutte contre le racisme.
Il n’y a pas davantage de risque d’incompatibilité de notre droit avec le droit international et européen. Je n’ignore pas que de nombreux instruments du droit international et européen comportent le mot « race ». On le retrouve, par exemple, dans les pactes internationaux de 1966 sur les droits civils et politiques, et sur les droits économiques, sociaux et culturels, dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dans la Convention de Genève de 1951. Dès lors que la France continuera de réprimer les comportements racistes de manière identique, elle continuera à respecter ces instruments.
Le droit international et le droit européen n’imposent pas de reprendre exactement les mêmes termes. Seul importe que le résultat fixé soit atteint.
Ce qui est surprenant, c’est que certains proposent encore d’attendre que le mot « race » soit supprimé du droit international et du droit européen avant de réformer le droit français. Il s’agit évidemment d’un prétexte pour que cette suppression ne se fasse jamais. C’est, au contraire, en faisant preuve de volontarisme et en commençant par supprimer ce mot de notre législation que nous pourrons convaincre nos partenaires qu’une telle suppression est possible et les inciter à faire de même. La France s’honorerait en menant ce combat-là. Si la France avait attendu, par exemple, que la peine de mort soit abolie dans tous les autres États, elle la pratiquerait encore sans nul doute.
Pour terminer, je précise que je ne suis pas partisan de la suppression du mot « race » du préambule de la Constitution de 1946. Contrairement à la Constitution de 1958, qui doit s’adapter aux évolutions de notre société, le préambule de 1946 est le reflet de principes affirmés à une date donnée. Le retoucher serait un anachronisme. Si l’on allait jusqu’au bout d’une telle logique, on en viendrait à supprimer, au nom de la laïcité, la référence à l’Être suprême dans le préambule de la Déclaration de 1789. Il faudra, en revanche, réviser l’article 1er de la Constitution. On peut regretter que cette révision ne fasse pas partie des projets de loi constitutionnelle présentés par le Gouvernement. Rien ne s’oppose pour autant à ce que nous commencions par supprimer le mot « race » de la législation et que la révision constitutionnelle ait lieu plus tard.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, chers collègues, à adopter la présente proposition de loi. La majorité d’aujourd’hui doit se montrer fidèle aux engagements pris par le passé lorsqu’elle était dans l’opposition et traduire maintenant ses discours en actes. Ne reportons pas une énième fois, sous des prétextes fallacieux, une réforme que nous souhaitons tous. Car c’est une réforme de bon sens, une réforme humainement nécessaire qui arrive à point nommé par ces temps de confusion et de repositionnements racistes électoralistes exacerbés. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, cela fait, vous l’avez rappelé, monsieur Marie-Jeanne, une dizaine d’années au moins que l’Assemblée s’est emparée du sujet avec plusieurs propositions de loi constitutionnelle et plusieurs propositions de loi ordinaire visant à supprimer le mot « race » de la Constitution ou de la législation. Cette volonté revêt une dimension symbolique qui n’est pas anodine parce qu’elle contribue à donner de la force aux valeurs qui constituent le socle sur lequel repose l’ordre juridique français. Cette dimension symbolique dit très clairement le refus, dans le cadre de l’idéal républicain, de faire de la prétendue origine raciale une catégorie sociale. L’idéal républicain condamne donc sans réserve toute distinction fondée sur cette référence, invalidée depuis longtemps par les sciences, en particulier par la biologie et par la génétique.
Le groupe GDR a décidé de déposer cette proposition de loi qui vise à délester la législation française du mot « race ». Outre sa dimension symbolique, cette démarche revêt une dimension juridique et même philosophique. Elle a surtout une certaine ambivalence juridique : il faut se rappeler que l’histoire de la présence de ce mot dans la législation française ne s’est pas faite sous des auspices honteux, bien au contraire. À travers la présence de ce mot dans le préambule de la Constitution de 1946, dans l’article 1er de la Constitution de 1958, dans le code pénal, dans le code de procédure pénale – dans d’autres codes comme ceux des sports ou du travail, dans d’autres textes de loi, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur –, il s’agissait de lutter contre des actes xénophobes et antisémites.
C’est en avril 1939, par le décret-loi Marchandeau, que l’État français s’engage à punir les actes et comportements xénophobes et à réprimer la diffamation par voie de presse qui vise des groupes de personnes en raison de leur appartenance à une religion ou à une race déterminée. Le régime de Vichy va d’ailleurs abroger ce décret-loi pour faire de la race une catégorie juridique particulière qu’il va utiliser pour justifier et légitimer sa politique ouvertement raciste et antisémite. Il va s’en servir pour justifier toutes les restrictions aux libertés, aux droits familiaux, justifier les expropriations, l’interdiction d’accès à la fonction publique qui va frapper les Français dits de confession juive et, j’ajouterai, de culture juive.
La loi d’octobre 1940 définit un statut des juifs à partir de leur ascendance, précisant le nombre de grands-parents nécessaire pour être considéré comme juif. La loi de juin 1941, quant à elle, précisera davantage, pour les générations suivantes, dans quelle mesure l’alliance et l’ascendance constituent un moyen de caractériser ces citoyens français, d’en faire des juifs pour les exclure de la communauté nationale.
Le décret-loi Marchandeau sera rétabli à la Libération jusqu’au vote de la loi de 1972 relative à la lutte contre le racisme. Autrement dit, à la Libération, la démarche qui avait conduit, en 1939, dans un contexte de défense nationale, à adopter ce décret-loi qui protégeait des citoyens déjà exposés à des actes xénophobes, à des injures, à des violences, sera renouvelée, l’État français reprenant sa lutte contre les discriminations et l’antisémitisme.
Il est intéressant de noter qu’au cours de la première phase de colonisation marquée par la traite négrière et l’esclavage, le paradigme de la race n’est pas utilisé ; c’est celui de la couleur qui prévaut avec le code noir ou lors du rétablissement par Bonaparte en 1802 de la traite des noirs, de l’extension du code civil aux colonies, en 1805, où il est dit que, de tout temps, les colonies ont connu les distinctions de couleur. C’est ce paradigme qui prévaut, donc, dans cette phase de colonisation et bien entendu, aussi, le paradigme de la domination avec les catégories de maître et d’esclave. Aussi, si l’on se réfère à la catégorie des blancs et à celle des noirs, il n’y a pas de référence à la race en tant que telle.
Évidemment, comme les réalités humaines, sociales et sociologiques échappent toujours à ceux qui veulent enfermer les êtres humains dans des cases, les législateurs sont assez embarrassés avec les métis qu’ils vont finir par appeler « indigènes » avec des discussions extraordinaires aussi bien en Asie qu’en Afrique ou dans les Amériques quant à savoir comment nommer ceux qui sont métissés. Le législateur, quelle que soit sa puissance, ne peut empêcher les viols dans les périodes d’extrême violence, ni l’amour qu’il ne faut pas exclure. Que faire, par conséquent, de toutes ces personnes issues d’Européens, d’Amérindiens, d’Africains et qui n’entrent pas dans la catégorie binaire des blancs et des noirs ?
C’est l’état du monde à cette époque et pas seulement dans les colonies françaises mais aussi dans une colonie anglaise : les États-Unis où a cours la fameuse théorie du one drop que tout le monde connaît ici. Ce concept a ressurgi lors de la première campagne présidentielle de Barak Obama en 2008 : One drop of black blood makes you black – « Une seule goutte de sang noir fait de vous un noir ». On va même jusqu’à envisager le cas d’une personne ayant un trente-deuxième de sang noir – probablement une référence à l’époque où l’on comptait trente-deux races, la dernière étant la race des méchants.
Plus lyrique, Bob Marley a composé une très belle chanson où il est dit : Feel it in the one drop – « Ressens-le bien dans la fameuse goutte ». En 2008, je viens de l’évoquer, le débat a ressurgi aux États-Unis : Barak Obama est-il noir, est-il métis ? Il a la fameuse goutte de sang noir, donc il est noir.
Ces anciens débats ont perduré si l’on en juge par les écrits de très grands poètes comme le Guyanais Léon Gontran Damas : « Si souvent mon sentiment de race m’effraie autant qu’un chien aboyant la nuit. » Il y a ce plomb qui pèse sur les épaules de ceux qui sentent bien qu’ils ne sont définis que par cette catégorie-là. Aimé Césaire également s’exprimera abondamment sur la race et écrira avec beaucoup d’allant dans Cahier d’un retour au pays natal : « J’accepte… j’accepte… entièrement, sans réserve… […] ma race rongée de macules. »
On a vu, pendant le mouvement des droits civiques aux États-Unis, pendant les années soixante, comment l’on décide de s’approprier une injure, un facteur, un critère de discrimination et de le sublimer, d’en faire un étendard.
Parce qu’il est un immense poète, à la pensée humaniste et universelle, il n’en reste pas là et il définit sa négritude. Il se présente clairement comme le porte-drapeau de tous les opprimés.
La race opprime. Elle n’opprime pas que les Noirs à l’époque, mais pour sa part, avec le courant poétique, philosophique, littéraire, mais aussi politique de la négritude, il revendique cette appartenance. Dans Cahier d’un retour au pays natal, il écrit : « Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serai un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcutta, un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas. »
Il exprime, d’une certaine façon, la fraternité de tous les opprimés et le refus de toutes les oppressions. Mais il va plus loin, puisque c’est un humaniste, qui pense le monde et l’universalité. Lorsqu’il dit : « Je m’exige bêcheur de cette unique race », il reprend le mot « race », mais en parlant de l’« unique race », il fait référence à l’espèce humaine. Et il poursuit : « Ce que je veux, c’est pour la faim universelle, pour la soif universelle. »
Toute cette période est donc marquée par des textes, mais plus globalement par une ambiance : des philosophies, des sciences, comme l’angle facial, ou plutôt des prétendues disciplines et théories scientifiques, qui classent les personnes en catégories. Dans ce contexte pesant, lorsque le législateur a le courage d’inscrire dans le texte de loi le refus de ces discriminations prétendument fondées sur la race, il fait preuve d’un courage politique qu’il faut reconnaître et admirer.
Le décret-loi Marchandeau, je l’ai dit, fait retour à la Libération, qui marque la victoire de la Résistance et qui est le fruit des combats menés par les troupes régulières, mais aussi par les résistants, par toutes celles et tous ceux qui ont résisté sous des formes différentes, au nom de la liberté, au nom de valeurs et au nom de l’égalité. La Résistance est un moment, où des personnes d’apparences et d’origines différentes se sont mobilisées ensemble, au nom de l’idée qu’elles avaient de la France, au nom de la liberté comme valeur, car c’est pour des valeurs que ces personnes ont risqué leur propre liberté et leur propre vie.
On sait les conséquences terribles qu’a eues, avec la collaboration et l’horreur nazie. l’utilisation, par le régime raciste et antisémite de Vichy, de cette catégorie de « race », puisque c’est elle qui a permis de discriminer, d’opprimer, d’accabler, mais aussi de déporter et de tuer.
Il faut donc reconnaître ce courage. Je parlais d’ambivalence tout à l’heure : ce mot est entré dans le droit au nom d’une très belle intention, puisqu’il devait justement permettre de combattre la xénophobie, le racisme et l’antisémitisme. Le terme a ensuite été dévoyé, puis les mentalités ont évolué et l’on s’interroge aujourd’hui sur sa présence dans les textes de loi.
C’est une ambivalence que les chercheurs en sciences humaines connaissent bien. Cela fait des années qu’ils se penchent sur cette question : ils sont convaincus qu’il faut supprimer le mot « race », mais ils se demandent comment il sera possible de combattre le racisme, si l’on supprime le mot.
Il me revient une très belle phrase, qui est peut-être de Cukor, mais qui date en tout cas des années 1940 : tout serait beaucoup plus simple pour nous, les antiracistes, si tous les Noirs étaient blancs. (Sourires).
M. Jean-Frédéric Poisson. Et inversement, madame la ministre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et inversement, sans aucun doute, mais en même temps, vive la différence ! C’est la condition de la curiosité et de l’échange, chacun portant ses mystères et ses secrets, chacun ayant quelque chose à apprendre et à délivrer à l’autre. L’altérité est bien la condition du dialogue, de la rencontre, de l’enrichissement individuel et collectif.
Il y a donc bien une ambivalence, mais on doit s’interroger – et le Parlement le fait depuis une dizaine d’années – sur la nécessité de maintenir ce terme dans la législation. Vous avez décidé de toucher à la législation, et il est vrai qu’il aurait été beaucoup plus compliqué de déposer une proposition de loi constitutionnelle.
Le rapporteur, la commission des lois et la chancellerie ont accompli ensemble un travail de grande qualité, et grâce au bon esprit de chacun, le texte a été amendé. La version initiale du texte proposait de supprimer le mot « race » sans le remplacer, ce qui nous faisait courir un risque de vide juridique et ce qui aurait rendu difficile la sanction des pratiques, des propos et des comportements délibérément et explicitement racistes. Vous avez finalement fait le choix de remplacer le mot « race » par des membres de phrase comportant des dérivés. Ce n’est pas toujours très heureux, mais il est assez fréquent, dans les textes de loi, que neuf articles sur dix fonctionnent bien, et que les choses soient plus compliquées pour le dernier.
Ce n’est pas toujours très heureux, disais-je, et cette formulation semble parfois faire perdre un peu de sa force au texte, mais il n’empêche : il me semble qu’il s’agit du meilleur compromis possible. Nous ne pouvions maintenir le terme « race », parce qu’il n’a aucun sens scientifique et parce qu’il a une signification philosophique inacceptable dans un ordre juridique fondé sur les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Mais en même temps, nous devions nous donner des moyens de sanction, puisque l’on constate encore, hélas, de nombreux actes de violence, des injures et des discriminations à caractère raciste.
Je pense que vous avez abouti à une proposition de loi qui se tient, et qui se tient même bien. Un amendement de Mme Capdevielle va modifier l’article 1er. Cet amendement est bienvenu, car la première rédaction de l’article faisait une référence un peu gênante. Il y a de la solennité dans la nouvelle rédaction, qui est bien meilleure puisqu’elle se réfère à la République et au fait que celle-ci interdit et condamne la référence à la race.
Je pense que vous êtes arrivés à un texte de loi qui mérite d’être adopté. En tout cas, le Gouvernement émettra un avis favorable. Il s’agit d’un acte nécessaire et noble, conforme à ce qu’est notre République. Cet acte est particulièrement fort dans la période où nous nous trouvons, puisque nous assistons, depuis quelques mois ou quelques semaines, osons le dire, à une résurgence du refus de l’autre et de la suspicion vis-à-vis de l’autre, à une libération de la parole – encore que le mot « libération » ne convienne pas dans ce cas-là –, et en tout cas à une désinhibition.
Monsieur Chassaigne, à votre air étonné, je me dis que je viens peut-être de faire un néologisme…
M. André Chassaigne. Non pas étonné, mais admiratif, madame !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Des digues ont été rompues, des choses se sont effondrées, et je crois que votre message est bienvenu. C’est vraiment le moment de le délivrer et de rappeler que notre société s’est bâtie, non seulement sur l’acceptation de l’autre, mais sur l’accueil de l’autre, sur l’hospitalité, sur l’amour de l’autre et sur la fraternité.
La fraternité, ce n’est pas rien dans notre devise, qui a été établie en 1848, sous la Deuxième République, et qui a montré sa force à travers le temps. Sur la base de cette devise et de cette conception de la fraternité, la France avait déjà proclamé la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; elle a ensuite été très active, en 1948, dans l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’ONU. Elle a montré, en plusieurs circonstances, sa solidarité avec le reste du monde, sa sensibilité au sort des opprimés et son empathie envers d’autres peuples.
Notre société a tout cela dans son patrimoine, historique et philosophique, mais aussi dans son quotidien. Il est bon de le rappeler, parce que ce ne sont pas les voix les plus fortes, celles qui crient la haine et le refus de l’autre, qui sont les plus légitimes pour résumer l’histoire de la France, son éthique et sa philosophie.
Je le répète : le moment est bienvenu pour dire tout cela. C’est l’occasion de rappeler tous ces moments et tous ces actes de l’histoire de la France et de dire, avec Nazim Hikmet, que : « Les chants des hommes sont plus beaux qu’eux-mêmes, plus lourds d’espoir, plus durables. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. André Chassaigne. Remarquable !
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Asensi.
M. François Asensi. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans L’équation du nénuphar, Albert Jacquard écrivait : « Il se révèle impossible de classer les différentes populations humaines en races. Selon le niveau de précision que l’on cherche à respecter, on peut finalement énoncer : soit qu’il n’y a pas de races dans notre espèce, soit qu’il n’y en a qu’une, l’Humanité, soit qu’il y en a autant que d’humains, soit, enfin, que le concept de race n’est pas opérationnel pour notre espèce. La conséquence la plus claire est que tout raisonnement faisant référence à des races humaines est dépourvu de base scientifique. »
À lui seul, le jugement scientifique de ce chercheur, spécialiste de la génétique des populations et membre du Comité consultatif national d’éthique, justifie la proposition de loi que les députés du Front de gauche portent aujourd’hui, avec nos collègues ultramarins.
C’est avec beaucoup de solennité et de fierté que je souhaite défendre ce projet de loi tendant à la suppression du mot « race » de notre législation nationale. Ce projet, notre groupe le porte avec constance depuis plusieurs années. Comme le rapporteur l’a rappelé, notre collègue Michel Vaxès avait déjà défendu un projet similaire en 2003. Le contexte dans lequel nous faisons à nouveau cette proposition est différent, puisque François Hollande déclarait lui-même en mars 2012, pendant la campagne électorale des présidentielles : « Il n’y a pas de place dans la République pour la race. »
En décidant de supprimer la catégorie juridique de « race », comme nous le proposons, notre assemblée contribuerait à faire avancer notre société au plan idéologique et pédagogique, même si – nous en sommes tous convaincus – ce geste symbolique ne suffira pas à effacer le racisme. Elle donnerait un signal fort à toute la communauté internationale, et la France ferait figure de pionnière, comme elle a su l’être en d’autres temps, dans la lutte mondiale contre l’obscurantisme.
Cette notion de « race » est d’ailleurs historiquement récente. Le mot apparaît au XVIIe siècle pour désigner une lignée ou une famille, et ce n’est pas un hasard si sa définition moderne naît dans le contexte des grandes conquêtes coloniales. La France, comme d’autres pays européens, a alors besoin de justifier moralement l’exploitation féroce des Indiens dans ses colonies d’Amérique, puis des Africains déportés par millions et réduits en esclavage.
Déjà, en 1550, la controverse de Valladolid posait la question de l’appartenance des Amérindiens à l’humanité. Si le dominicain Bartolomé de Las Casas a gagné ce combat pour la défense des Indiens, il a hélas été conduit à suggérer, en contrepartie, la déportation des Africains.
De la même façon, la question de savoir si les femmes avaient une âme se posait déjà depuis plusieurs siècles, et depuis des temps immémoriaux, les membres de la noblesse auraient eu du sang bleu. Autant dire que le racisme remonte très loin dans notre histoire.
Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’Europe et quelques-uns de ses scientifiques tentèrent de théoriser la validité de la notion de « race » pour entériner la notion de race supérieure. On mesure bien, aujourd’hui, la bêtise de ces définitions raciales. Pour autant, on ne peut oublier les conséquences qu’elles ont eues et les horreurs qu’elles ont générées. Elles ont justifié la déportation et l’exploitation d’Africains pendant trois siècles, puis la domination des peuples africains et asiatiques colonisés.
Ces théories racistes ont été utilisées par les nazis pour justifier la supériorité de la race aryenne, prétendument pure, et elles ont conduit à la barbarie que l’on sait.
Elles ont aussi laissé des traces qui perdurent aujourd’hui dans les mentalités : le racisme est loin d’avoir disparu et il est encore une arme de division entre les hommes et les femmes. Et c’est bien là le nœud du problème. Dans un système dont le cœur est la domination et l’exploitation, trois grandes discriminations perdurent : envers les femmes, envers les classes subalternes, ces « instruments bipèdes », ainsi que Sieyès nommait les ouvriers, et envers les peuples coloniaux.
La liberté théorisée par le libéralisme a toujours été d’abord celle des dominants, celle du « peuple des seigneurs ». Le racisme est l’un des moyens de limiter l’émancipation des peuples et il s’est manifesté dans de nombreux textes. Dans les années 1950, le Règlement du service dans l’armée française précisait ainsi que la mission du colonel consiste à indiquer « les moyens les plus propres à développer le patriotisme : fortifier l’amour de la patrie et le sens de la supériorité de la race ». La notion de race a imprégné certaines de nos institutions et le chemin est long pour s’en départir.
Malheureusement, le quinquennat de Nicolas Sarkozy n’a pas été exempt de débordements. Les discours de Grenoble et de Dakar ont exprimé une volonté de rupture avec notre tradition universaliste, humaniste et républicaine, et la déclaration de Claude Guéant sur l’inégalité des civilisations allait dans le même sens.
Or l’idée de classification ou de hiérarchisation des hommes sur la base d’un critère biologique ou génétique a été invalidée et désavouée par tous les travaux scientifiques depuis plus de quarante ans. Le mot « race » est caractérisé par son ineptie, dès lors qu’il est appliqué à l’homme.
En 1996, 600 scientifiques français répliquaient à Jean-Marie Le Pen, qui avait déclaré comme une évidence que les diverses races humaines étaient inégales. André Langaney, généticien et professeur au Muséum national d’histoire naturelle, l’affirme sans ambiguïté : « Il n’y a pas, montrent aujourd’hui les biologistes, de marqueurs génétiques de la race. Les gènes n’ont pas de race. » Et de conclure que la société colonialiste s’est longtemps efforcée de faire passer l’idée de races hiérarchisées pour une notion scientifique « afin de justifier les inégalités sociales et les oppressions économiques ».
Le genre humain est apparu il y a plus de deux millions d’années. On situe encore aujourd’hui sa naissance en Afrique, dont André Langaney a raison de dire que « ce sont ses enfants, puis ses descendants qui constituent les six milliards d’êtres humains actuels ».
Pourtant, le législateur comme le constituant n’ont pas tiré les leçons de l’histoire et de la science. Déjà présente de manière tacite durant la période coloniale, la notion de race a été officiellement consacrée par le régime de Vichy. Loin d’être un hasard ou une coïncidence, la date d’entrée du mot « race » dans notre corpus législatif – 1939 – est parlante.
Certes, les diverses références à la race ont aujourd’hui pour objet de prohiber les discriminations entre les êtres humains. Cependant, la référence à la race dans la législation équivaut nécessairement à une validation implicite de l’existence d’une telle distinction entre les êtres humains. Cette réalité est d’autant plus forte lorsque la race constitue l’élément d’une énumération, parmi des notions aussi objectives que l’origine, l’ethnie, la nation ou la religion. Utiliser, en droit, le terme de « race » revient à admettre implicitement son existence, ou du moins à en banaliser l’usage, y compris par les plus jeunes de nos concitoyens.
La suppression de la notion de « race » ne nuira pas à l’efficacité de la lutte contre le racisme.
Il ne s’agit pas de censurer la langue française, encore moins de créer un quelconque vide juridique qui risquerait d’affaiblir notre arsenal répressif contre les actes racistes. Les mots « raciste » et « racisme » ont vocation à demeurer dans notre droit.
Enfin, la référence à la notion de race n’est pas un outil juridique incontournable. Notre excellent rapporteur, Alfred Marie-Jeanne, attentif à cet argument, a proposé de substituer au mot « race » le mot « raciste ». J’en profite pour saluer le travail formidable de notre collègue. Il a réalisé de nombreuses auditions et a balayé l’ensemble des textes. Ce travail lui a permis de corriger les imperfections du texte initial pour proposer une nouvelle rédaction, désormais irréprochable.
Nous ne sommes pas naïfs. Nous sommes conscients que le racisme ne disparaîtra pas en corrigeant simplement notre vocabulaire juridique. Le combat contre le racisme, sous toutes ses formes, reste plus que jamais d’actualité et nous le poursuivrons avec opiniâtreté et persévérance.
La nouvelle proposition de rédaction de l’article 1er permet d’assurer une parfaite sécurité juridique. Dans le même temps, elle donne une signification politique à cette substitution : les races n’existent pas, contrairement au racisme qui subsistera tant que nous n’aurons pas réussi à gagner la bataille contre l’obscurantisme.
Nul doute que, quelles que soient nos sensibilités politiques, quelles que soient nos origines et nos parcours, nous pouvons faire nôtres les paroles d’une belle chanson de Claude Nougaro par lesquelles je souhaite conclure – rassurez-vous, madame la garde des sceaux, je ne la chanterai pas ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dommage !
M. François Asensi. Claude Nougaro chantait : « Armstrong, un jour, tôt ou tard,/ On n’est que des os./ Est-ce que les tiens seront noirs ?/ Ce serait rigolo./ Au-delà de nos oripeaux,/ Noir et blanc sont ressemblants/ Comme deux gouttes d’eau. » (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a quelques jours, Ibrahim Dia, âgé de 47 ans, alors en vacances avec son épouse et leur fils de huit ans dans la région Aquitaine, a été agressé par trois hommes du village où il se promenait. Ils l’ont roué de coups et insulté : « Sale nègre, sale Antillais, sale pédé, on t’avait dit de rentrer chez toi ! ». De nombreux témoins sont intervenus, permettant à la victime de quitter les lieux.
Cette agression puise son motif dans la seule origine sénégalaise d’Ibrahim Dia, qui souffre aujourd’hui, entre autre, d’un traumatisme crânien. Sa seule faute aura été d’être noir et de se trouver dans une commune d’Aquitaine. Ce constat est affligeant.
Ses trois agresseurs comparaîtront en janvier 2014 devant le tribunal correctionnel de Bergerac pour répondre des infractions racistes commises. Réjouissons-nous de vivre dans un État de droit !
Le racisme est toujours un fléau dans notre pays, un virus tenace, en perpétuelle mutation. Nous n’avons pas fini de le combattre de toutes les façons que nous permet la loi.
Parmi les nombreuses actions à mener, la suppression du mot « race » de nos codes et textes de lois est un acte honorable du législateur, qui va bien au-delà de sa seule valeur symbolique. Ce n’est pas un gadget législatif.
Ces quatre lettres n’ont rien à faire dans nos textes, sinon pour caractériser – et permettre à la justice de condamner – les actes racistes, antisémites et xénophobes, notamment par le biais des dérivés sémantiques qui s’y rattachent, comme je m’emploierai à le montrer plus loin.
Si, aujourd’hui, les termes les plus outranciers tendent heureusement à disparaître des discours politiques en France, la notion de race reste nettement perceptible, qu’il s’agisse de la promotion des théories racistes, aspect le plus visible, ou des analyses idéologiques erronées à l’instar du mémorable discours de Dakar prononcé par le précédent Président de la République, émanation regrettable de la plume d’un de nos collègues.
Pour sa part, le terme de « race » est toujours présent dans le lexique juridique et législatif français. Voici un paradoxe qu’il convient de corriger sans délai, ce que l’actuelle majorité est sur le point de faire.
Ce débat n’est pas nouveau, comme l’ont rappelé la garde des sceaux et le rapporteur, et les rendez-vous manqués sont nombreux. Depuis 2002, la gauche française tente sans succès de supprimer ce mot. Toutes les tentatives se sont heurtées au refus de l’UMP – bien absente aujourd’hui – qui, sous prétexte de raisons juridiques fallacieuses, défend la position selon laquelle le mot ne correspond à rien sur le plan conceptuel, mais constitue un outil juridique indispensable de la lutte antiraciste.
Il serait donc, selon l’UMP, impossible de le supprimer. Ce ne sont que des fadaises que la majorité s’emploie à contrecarrer. En 2008, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la modernisation des institutions de la Ve République, la gauche avait déposé deux amendements visant à supprimer le mot « race » de l’article 1er de la Constitution et à le remplacer par le terme « origines ».
Pour mémoire, l’amendement du groupe socialiste avait été défendu dans l’hémicycle par notre collègue Jean Jacques Urvoas, aujourd’hui président de la commission des lois.
Saluons à cette occasion la ténacité de nos convictions qui ont amené le candidat François Hollande à déclarer lors d’un meeting de campagne relatif à l’outre-mer : « Il n’y a pas de place dans la République pour la race. Et c’est pourquoi je demanderai au Parlement de supprimer le mot “race” de notre Constitution ».
Cet engagement clair est tenu, et le changement de majorité permet enfin de procéder à cet acte symbolique fort et indubitablement pratique.
Comme l’indique avec raison le rapporteur : « Continuer à utiliser ce terme, ce concept, même si c’est pour prohiber les discriminations, c’est admettre très implicitement son existence, scientifiquement erronée. ».C’est tout à fait juste.
Au-delà du symbole se pose la question de l’ambiguïté du concept de race en droit français. L’origine du terme « race » est obscure et controversée. La racine du mot serait latine, germanique ou arabe. L’usage du mot est attesté en espagnol dès le XVe siècle, pour caractériser les juifs convertis au christianisme, considérés comme de sang impur, puis à propos des Indiens du Nouveau Monde.
En France, ce n’est véritablement que dans la deuxième moitié du XIXe siècle que l’on commence à parler de races, à travers le « racialisme » et le développement de l’étude à prétention scientifique des races.
Permettez-moi de citer un manuel d’histoire de 1887, utilisé dans les écoles de la République française. Il commence ainsi : « On distingue trois races humaines : la race noire, qui peupla l’Afrique, où elle végète encore ; la race jaune, qui se développa dans l’Asie orientale, et les Chinois, ses plus nombreux représentants, gens d’esprit positif, adonnés aux arts utiles mais peu soucieux d’idéal, ont atteint une civilisation relative, où ils se sont depuis longtemps immobilisés ; et la race blanche qu’il nous importe spécialement de connaître, qui a dominé et domine encore le monde. »
Cette pédagogie se passe de commentaire.
C’est le régime de Vichy, et sa législation antisémite visant clairement la « race juive », qui a fait entrer le terme dans le vocabulaire juridique. La « race » est alors devenue une catégorie juridique en droit français.
Monsieur le rapporteur, vous avez fait un choix judicieux. Le mot « race » est supprimé et remplacé par d’autres termes substitutifs juridiquement neutres. Ces termes ne sont certes pas poétiques, Mme la garde des sceaux a raison, mais ils permettent de poursuivre les auteurs d’actes ou de propos racistes. Les termes ne sont pas heureux, mais le code pénal n’est malheureusement pas un recueil de poèmes.
Le mot « raciste » peut être substitué aux termes « race » ou « racial » dans cinquante-cinq des cinquante-neufarticles concernés. Il n’est en effet pas question de prendre le risque d’un vide juridique, ou de la relaxe de prévenus fondée sur le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce. Ainsi, et c’est là l’essentiel, la prévention et les poursuites sont sécurisées.
Certes, cette proposition de loi ne supprimera pas le mot « race » de la Constitution et des textes de droit européen et international. Pour autant il n’est pas incompatible avec ces textes qui posent le principe de la répression des actes et propos racistes.
La France, une fois n’est pas coutume, sera pionnière en Europe. Volontariste, elle prouve qu’il est désormais possible juridiquement de ne plus faire référence à ce mot sans affaiblir – bien au contraire – la lutte contre le racisme, qui progresse malheureusement dans notre territoire. La France sera donc légitime pour plaider devant les instances européennes et internationales et se faire l’ambassadrice de la suppression du mot « race ». Nous nous honorerions d’être les premiers à le faire.
Cette proposition de loi participe aussi de la lutte sans merci contre ce fléau compris dans son acception la plus large et la plus diversifiée.
De la violence avérée dont je faisais état au début de mon propos à la haine ordinaire et quotidienne, le racisme est un phénomène particulièrement complexe dont les manifestations sont aussi nombreuses que variées, et surtout insidieuses : islamophobie, négrophobie, antisémitisme, homophobie, et toute forme de xénophobie et de rejet de l’altérité.
Le racisme, comme le diable, se niche dans les détails : à l’école ; sur les terrains de sport où l’on entend des cris de singe dès que l’on voit un homme de couleur noire ; lors de l’embauche ; de la recherche d’un logement ; au détour d’un commentaire sur internet où se développe ce nouveau phénomène de cyberhaine ; ou bien – soit dit en passant – dans l’écart langagier d’un ministre de l’intérieur et de l’outre-mer un peu trop décomplexé.
Cette proposition de loi donne l’exemple. Car après le regard porté, impalpable, incernable, le premier acte raciste se cristallise souvent dans quelques mots et quelques paroles blessantes, prononcées apparemment sans conséquence. En supprimant le mot « race » de nos codes et, souhaitons-le, prochainement de notre Constitution et des textes européens, cet acte du législateur participe de la conscientisation, de la sensibilisation et de l’éducation des enfants. Il comporte une valeur d’exemple qui ne manquera pas de se distiller progressivement dans l’esprit citoyen.
En supprimant le mot « race » nous tordons le cou aux idées reçues, tel que ce cliché sur « l’homme africain qui ne serait pas entré dans l’histoire », alors même que l’Afrique a été l’un des berceaux de grandes inventions humaines et politiques, de civilisations riches et puissantes où l’écriture, les sciences et les arts tenaient une place de premier ordre.
Supprimer le mot « race », c’est enfin contribuer à la reconnaissance de la diversité culturelle, facteur d’enrichissement mutuel où tous se nourrissent d’échanges réciproques, dans le respect de l’autre pour ce qu’il est.
Ce texte permet enfin de tourner définitivement une page. Il ne réécrit pas l’histoire, ce n’est pas son objet.
Ce texte est destiné à nos enfants. Pour eux je voudrais conclure en citant Tahar Ben Jelloun. Dans Le racisme expliqué à ma fille, ouvrage que je viens de retrouver en rangeant la chambre de mes enfants, il écrivait : « Le mot race ne doit pas être utilisé pour dire qu’il y a une diversité humaine. Le mot race n’a pas de base scientifique. Il a été utilisé pour exagérer les effets de différences apparentes, c’est-à-dire physiques. On n’a pas le droit de se baser sur les différences physiques – la couleur de la peau, la taille, les traits du visage – pour diviser l’humanité de manière hiérarchique c’est-à-dire en considérant qu’il existe des hommes supérieurs par rapport à d’autres hommes qu’on mettrait dans une classe inférieure. Ma fille, je te propose de ne plus utiliser le mot “race”. »
À son tour, la majorité parlementaire propose de ne plus utiliser le mot « race ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.
M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, je remercie Mme Capdevielle d’avoir signalé la présence énergique des membres de l’opposition dans l’hémicycle. Je lui ferais remarquer qu’en proportion, nous sommes plus nombreux que les députés de certains autres groupes.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Mais moins paritaires !
M. Jean-Frédéric Poisson. Je fais également remarquer à la Présidence que, si nous n’avions pas subi une suspension de séance intempestive d’une heure cet après-midi afin que le ministre du travail puisse assister à la conférence de presse du Président de la République, nos travaux auraient été mieux organisés, et nos collègues auraient certainement pu venir en plus grand nombre.
J’en viens à notre sujet.
Le fait de retirer des codes certains termes qui n’ont plus l’assurance, l’impact ou une forme de justesse qui furent les leurs à un moment donné, a du sens. Comme l’ont rappelé Mme la garde des Sceaux, Colette Capdevielle et d’autres orateurs, il est évident qu’un peu plus d’un siècle après le triomphe de ce mot dans les sciences biologiques de la fin du XIXe siècle, les travaux des populationnistes, des généticiens ou encore des biologistes ont évolué au point qu’il a perdu toute pertinence scientifique. Telle est la marque de l’évolution des sciences dans l’histoire, des sciences dites « dures », mais dont la capacité de changement est bien plus grande qu’il n’y paraît.
L’intention est symbolique, cela a été rappelé également. Je vous l’ai dit, madame la garde des Sceaux, lors de l’examen d’un texte où vous parliez d’altérité, dans des termes certes différents, ce que j’ai regretté…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est mon obsession ! (Sourires.)
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien ce que je vous reproche ! Tout changement apporté à la loi a une portée symbolique, par la force des choses. Il concerne des réalités qui dépassent de beaucoup le contenu même du texte. Aussi, supprimer le mot « race » dans notre législation est-il une intention louable, compte tenu de la pertinence d’une telle suppression sur le plan de la science et de l’histoire et de sa portée symbolique.
Mais, ainsi que je l’ai dit en commission, l’intention de nos collègues du groupe GDR entraîne deux problèmes. Supprimer ce mot des différents codes ordinaires sans l’évacuer du bloc constitutionnel pose évidemment un problème de droit. On imagine mal que la portée de la suppression du mot dans les lois ordinaires ne soit pas supplantée par le maintien de celui-ci dans le bloc constitutionnel, particulièrement dans le préambule de la constitution de 1946, qu’il sera difficile de modifier.
Par ailleurs, cela pose le problème du remplacement du mot. Notre collègue Alfred Marie-Jeanne se souviendra des échanges que nous avons eus en commission à ce sujet : quel mot faut-il lui substituer pour éviter de laisser des trous dans la toile, si je puis m’exprimer ainsi ? Vous avez mentionné le mot « origine », madame Capdevielle, notre rapporteur avait proposé les mots « ethnie » et « ethnique ». Je ne suis pas certain que ces substitutions soient tout à fait satisfaisantes. En plus d’un problème de droit en principe, nous nous heurtons à une question de sémantique qu’il faudra régler, et ce d’autant plus que ce mot subsistera dans le bloc constitutionnel.
Pour le coup, nous ne sommes pas dans une procédure législative qui permette d’évacuer rapidement ce mot du bloc de constitutionnalité. J’ai bien entendu que nous étions sur le chemin, au tout début sans doute, de la réalisation d’une promesse du chef de l’État – ne perdons pas espoir, il est trop tard pour cela ! –, mais il faudra d’autres procédures, d’autres modifications, et à l’évidence une modification de la Constitution, pour que le présent texte puisse trouver un point d’appui solide.
Pour ces raisons, il me paraît difficile de soutenir pleinement la pertinence de ce texte.
Enfin, combattre ce phénomène qu’est le racisme en supprimant simplement le mot des codes relève de simples bonnes intentions. Je ne veux pas faire à quiconque l’injure de considérer qu’il s’agirait d’une forme de « pensée magique », revenant à estimer que changer le nom de la réalité suffit à changer la réalité.
M. Lionel Tardy. Bien sûr !
M. Jean-Frédéric Poisson. Si le mot « race » a fait son entrée dans notre droit à l’occasion de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, c’est-à-dire bien antérieurement aux régimes racistes ou discriminatoires, le fait de l’en retirer n’aura pas la portée et les conséquences sur la société que certains veulent bien lui prêter. Pour toutes ces raisons, et à titre personnel, monsieur le rapporteur, je m’abstiendrai sur cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gomes.
M. Philippe Gomes. Madame la présidente, madame la garde des Sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de part et d’autre de cet hémicycle, l’absolue conviction que l’espèce humaine est une et que le concept de « race » n’a aucun fondement scientifique ou biologique nous réunit aujourd’hui.
La seconde conviction qui nous rassemble, c’est que la lutte contre le racisme, et plus largement la lutte contre toute forme de discrimination est intrinsèquement partie du projet républicain, c’est-à-dire de l’exigence humaniste héritée des Lumières, de cette aspiration à l’universel qui postule que chacun contribue à l’aventure et à l’émancipation humaines ; cette lutte profite à tous, passe par chacun, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne.
Alors, mes chers collègues, le bon chemin de réflexion est-il de supprimer un mot ou de penser un projet ? Croyez-vous que la disparition légale du mot emportera avec elle la peste brune du racisme ?
Et cette peste, pour rappeler à nos souvenirs l’œuvre magnifique d’Albert Camus, n’a pas été éradiquée. Elle gagne du terrain, à la faveur des difficultés, des inquiétudes, des obstacles à l’espoir et aux aspirations, qui font craindre la différence et l’altérité, qui font naître la peur de l’inconnu et qui accueillent les appels aux communautarismes et à la haine ordinaire. Reporter sur les autres la peur et l’incertitude que l’on porte en soi est sans doute le pire des fléaux. Encore à bas bruit, mais déjà bien visible, il gagne dans notre pays mais aussi à nos frontières, dans ces pays amis qui sont le berceau de notre civilisation.
La Commission consultative nationale des droits de l’homme a d’ailleurs récemment pointé une « inquiétante montée de l’intolérance », dans « une société française plus perméable aux phénomènes de racisme, une société segmentée, […] en proie à une importante crise identitaire ».
Alors, bien sûr, la lutte contre le racisme doit concentrer tous nos efforts. C’est une lutte difficile, qui renvoie à bien des facteurs personnels et collectifs. « S’aimer », écrivait Jean Anouilh, « c’est lutter constamment contre des milliers de forces cachées qui viennent de vous ou du monde ».
Voilà pourquoi la discussion que vous nous proposez aujourd’hui est révélatrice, nécessaire, mais aussi discutable.
S’il fallait traiter de ce mal républicain, alors un débat était nécessaire, qui aurait mobilisé l’ensemble des forces républicaines, toutes les aspirations qui parcourent, avec leurs nuances, les travées de cet hémicycle. Et, bien au-delà de notre cénacle, parfois tellement confiné qu’il se perd dans ses propres mots et fait des mots des mondes, il aurait fallu ouvrir le champ à une réflexion plus vaste, plus profonde, plus partagée, faisant ainsi la belle démonstration de l’unité de la République et de la puissance de ses valeurs.
Cette discussion aurait pu être simplement celle de la lutte contre toutes les formes de discrimination, car le racisme a muté et su prendre d’autres apparences. On aurait pu évoquer les discriminations en raison du sexe, des convictions politiques ou religieuses, d’une appartenance syndicale, du handicap, de l’état de santé, de l’âge, de l’orientation sexuelle ou bien encore du lieu de résidence.
Autant d’injustices, autant d’intolérances et de rejets des différences, autant de tensions inacceptables pour les Républicains que nous sommes et qui ne sont pas uniquement liées à l’appartenance à une prétendue « race ».
Ces discriminations créent à coup sûr l’exclusion, elles entretiennent le ressentiment de beaucoup de nos concitoyens. Elles minent la cohésion sociale, le pacte républicain et vont à l’encontre des valeurs fondamentales et fondatrices de notre communauté de destin.
Le débat qui nous réunit aujourd’hui me donne l’impression de viser un arbre, quand il s’agit d’identifier une forêt tout entière, assombrie de tant de préjugés. C’est une discussion sémantique, lexicale, qui ne dit que peu de chose d’une démarche générale qui ferait sens.
Vous l’aurez compris, sur le plan philosophique, le groupe UDI soutient pleinement les objectifs et les intentions de ce texte. En revanche, techniquement, il lui semble beaucoup plus contestable. Le terme de « race » comme catégorie juridique est bien sûr à bannir, mais certains s’inquiètent – de manière excessive, espérons-le – des conséquences juridiques que la suppression de ce terme pourrait soulever.
M. Lionel Tardy. Tout à fait !
M. Philippe Gomes. Est-on bien certain que ce texte approximatif, incomplet et rédigé dans la précipitation ne risquerait pas finalement de produire des effets inverses de ceux qu’il vise, notamment en affaiblissant l’appareil répressif existant ?
M. Lionel Tardy. C’est vrai !
M. Philippe Gomes. La cohérence législative est primordiale sur cette question. D’ailleurs, la modification du texte initial en commission témoigne de ce manque de préparation.
Le sujet ne méritait-il pas plus d’égards ? Ses conséquences n’imposaient-elles pas une plus grande précision ? Sa valeur symbolique ne requérait-elle pas davantage de hauteur de vue ?
Du reste, il est évident qu’une réforme cohérente et durable impliquait de se porter à la hauteur du texte suprême, la Constitution.
L’adoption de cette proposition de loi pourrait, selon certains, nous conduire à une situation ubuesque où le mot « race », gommé de l’ensemble de notre législation, demeurerait au sommet de la hiérarchie des normes, qui proclame l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Or, à notre connaissance, un projet de loi constitutionnelle visant à supprimer le mot « race » n’est pas à l’ordre du jour.
Enfin, la rédaction même de ce texte semble discutable. Amendé de manière considérable en commission, il prévoit désormais de supprimer le mot « race » dans cinquante-neuf articles, neuf codes et treize lois non codifiées. Et nous sommes condamnés à n’examiner au fond les améliorations à apporter à ce texte que dans le cadre de l’hémicycle.
Pour autant, on ne saurait considérer cette mesure à la légère. Et d’évidence, je l’ai dit au nom de mon groupe, cette proposition de loi est pétrie des meilleures intentions.
Pour ma part, je considère que les mots peuvent parfois changer le monde. Et, aujourd’hui, ce mot porte, ici ou là, un poids qui pèse parfois encore par le seul fait de son existence. Il n’est pas incohérent de supprimer ce mot dans la perspective d’un projet. Efforçons-nous donc de construire le projet en évitant de se gargariser de mots. Et dans l’instant, je vous fais grâce du mot.
Je voterai, avec une partie du groupe UDI, cette proposition de loi. Malgré les doutes que j’ai exprimés, nous vous faisons confiance. Nous espérons que, demain, lorsque le Parlement aura délibéré et que cette loi entrera en vigueur, notre arsenal répressif contre le racisme n’en sera pas amoindri.
L’autre partie du groupe UDI considère que les incertitudes liées à la formulation juridique retenue dans ce texte ne permettent pas de répondre avec certitude à ces inquiétudes. En conséquence, elle s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et GDR.)
M. Jean-Louis Borloo. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, les textes présentés aujourd’hui par le groupe GDR ont tous une très forte portée symbolique. Ils reprennent en grande partie des promesses du candidat François Hollande. La proposition de loi tendant à la suppression du mot race de la législation française en est le meilleur exemple.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre, le mot « race » est apparu dans la législation française avec le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939. Ce texte interdisait la propagande antisémite et réprimait la diffamation commise envers « un groupe de personnes appartenant, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée ».
Abrogé par le régime de Vichy, il fut remis en vigueur à la Libération.
C’est sous Vichy, avec la législation antisémite, que la race est véritablement devenue une catégorie juridique de notre droit. Ainsi, la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs dispose qu’est « regardé comme juif pour l’application de la présente loi toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif ».
Après 1945, le mot « race » n’est employé que pour prohiber les comportements racistes. Mais en usant des termes « race » et « racial », même si c’est pour proscrire les discriminations fondées sur la « race », le droit n’entérine-t-il pas leur existence et ne leur confère-t-il pas une objectivité ambiguë ?
Le Préambule de la Constitution de 1946 proclame ainsi que : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. » La mention est également présente à l’article 1er de la Constitution de 1958 et dans toutes les grandes conventions internationales relatives aux droits humains. En droit français, le mot « race » et ses dérivés – le rapporteur l’a rappelé – apparaissent dans neuf codes et treize lois non codifiées, soit cinquante-neuf articles au total.
La forte portée symbolique de ce texte est néanmoins contrebalancée par cette réalité juridique : il ne permet pas en effet de modifier notre Constitution, encore moins les conventions internationales auxquelles la France est partie.
La première difficulté devrait être rapidement surmontée, puisqu’il s’agit d’une promesse de François Hollande. Le 10 mars 2012, il déclarait en effet : « Il n’y a pas de place dans la République pour la race. Et c’est pourquoi je demanderai au lendemain de la présidentielle au Parlement de supprimer le mot “race” de notre Constitution. » La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui n’est donc qu’une première étape.
Mais si le mot « race » n’est apparu dans la législation française que dans la seconde partie du xxe siècle, son origine est en réalité bien plus ancienne. Au xve siècle, les stratèges de la Reconquista utilisent l’idée de « pureté du sang ». Il s’agissait de nettoyer la péninsule du sang des juifs et des maures, pour mieux les en chasser et établir la religion catholique et le règne de ses rois. La découverte des Amériques donnera un nouvel élan à cette théorie raciste. Les premières justifications scientifiques de l’idée de race, fondée sur des différences physiques, notamment de couleur de peau, et intellectuelles, mesurées à la taille du cerveau, datent de cette époque. Les mêmes analyses justifieront la naissante traite des noirs.
Au xviiie siècle, ce naturalisme mènera à la classification des êtres vivants. Linné sera le premier, en 1758, dans son Systema naturae, à oser classifier les races humaines. D’autres prendront sa suite, comme Emmanuel Kant dans Des différentes races humaines en 1775.
Arthur de Gobineau sera l’un des grands théoriciens de la hiérarchie des races au xixe siècle, avec son Essai sur l’inégalité des races humaines en 1853. À l’inverse de ses prédécesseurs, il fonde sa classification raciale sur les conditions géographiques et climatiques dans lesquelles évoluent les êtres humains. Ces théories naturalistes sont alors enseignées aux enfants dans leurs livres scolaires… La flambée des nationalismes, la ruée vers l’Afrique et la conférence de Berlin constituent alors les cadres où se développe une théorie prétendument fondée sur des faits scientifiques mais dont les objectifs sont en vérité purement économiques.
Car l’histoire de l’Europe est en réalité bien plus cosmopolite que n’ont tenté de le faire croire ces racistes savants. Des intellectuels comme Renan refusent déjà l’existence d’une « race pure », et défendent une construction culturelle des nations. C’est le premier coup porté, bien que nuancé, au racisme scientifique, lequel aura toutefois encore de beaux jours devant lui, inspirant notamment les massacres commis pendant la Seconde Guerre mondiale.
C’est alors que la prise de conscience de la communauté internationale aboutit à l’adoption des diverses déclarations des droits humains déjà citées. Malgré la persistance de la ségrégation raciale aux États-Unis, le racisme sera désormais puni, presque partout dans le monde.
En 1958, l’UNESCO précise la dimension exclusivement biologique de la notion de race humaine et propose de la remplacer par la notion de « groupe ethnique ». Dans un rapport au Président de la République qui date de 1979, François Gros, François Jacob et François Royer, engageant à leur suite toute la communauté scientifique, ont dénoncé l’utilisation des arguments tirés de la biologie pour justifier certains modèles de société, du darwinisme social, ou eugénisme, au racisme colonial ou à la supériorité aryenne. Les idéologies n’ont guère hésité, disent-ils, à détourner les acquis de la science.
Mais le terme d’ethnie, bien que sociologiquement défini, ainsi que l’a bien remarqué le rapporteur, constitue en réalité une forme d’euphémisation de la notion de race. Celle-ci reste donc communément admise, non plus comme une réalité scientifique mais comme relevant d’un fait social.
Claude Lévi-Strauss refonde l’approche anthropologique en insistant sur la dimension dynamique de la diversité des cultures humaines, tandis qu’en Afrique et dans les Antilles sonne l’heure de la révolte intellectuelle. Je pense aux paroles touchantes d’Aimé Césaire en 1958 : « Mon nom : offensé ; mon prénom : humilié ; mon état : révolté ; mon âge : l’âge de pierre. Ma race : la race humaine. Ma religion : la fraternité. » Je pense également aux propos tellement actuels de Frantz Fanon, pour qui « le Blanc n’existe pas. Pas plus que le Noir ».
Chers collègues, nous savons tous que la notion scientifique de race telle qu’elle a été théorisée pendant plusieurs siècles ne se fonde sur aucune base réelle. Le racisme est devenu un fait social, indépendant de la notion de race. La suppression de ce terme est juridiquement complexe – mon prédécesseur à cette tribune vient de le rappeler –, puisqu’il s’agit de préserver le délit de racisme qui, lui, est bien réel. Je salue à cet égard le travail du rapporteur, qui a su trouver les formulations adéquates après un travail juridique minutieux, et retenu les termes de « discriminations à caractère raciste ».
Il nous faut toutefois rester vigilants. La résurgence de théories scientistes à vocation raciste est tout à fait possible. Les États-Unis ont décidé, pour y faire face, de préserver ce terme de race pour en étudier sa construction sociale au sein des race studies, qui s’apparentent aux gender studies.
Il est ainsi chaque fois plus essentiel de rappeler, à l’instar de François Hollande, que la race n’a pas sa place dans la République et que la nation française s’est avant tout construite sur des valeurs communes : la liberté, l’égalité, la fraternité, qui nous conduisent à vouloir bannir aujourd’hui le mot « race » de notre législation. Dans notre histoire, le terme de race à trop souvent servi à asservir, à stigmatiser, à discriminer des personnes du simple fait de leur origine.
Pour conclure, j’aimerais de nouveau citer Frantz Fanon. Celui-ci nous disait en 1961, dans Les Damnés de la Terre, que : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. » Chers collègues, je crois que notre mission est bel et bien de débarrasser enfin notre législation du mot « race ». (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC, RRDP et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Girardin.
Mme Annick Girardin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la race, terme taxinomique, est la négation de l’espèce humaine, et il n’est nul besoin de s’étendre sur le sujet. L’homme n’est pas domestique, et n’est pas domesticable. Je fais mienne la belle citation d’Albert Camus, citée dans votre rapport, cher Alfred Marie-Jeanne : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. »
Ainsi, logiquement, naturellement, conviendrait-il de gommer de notre législation le mot « race », dès lors qu’il concerne les uniques sujets du droit : les hommes.
Cette proposition n’est pas la première qui émane de parlementaires. Notre ministre des outremers, Victorin Lurel, lorsqu’il était membre de notre assemblée, avait à plusieurs reprises été à l’origine d’une initiative semblable à celle que nous examinons aujourd’hui. Il proposait ainsi en novembre 2004 de supprimer le mot « race » à l’article 1er de la Constitution. C’était une proposition de loi constitutionnelle, qui supposait donc une adoption par le corps électoral.
Nous pourrions en effet considérer qu’il faut commencer par supprimer le mot « race » de notre Constitution, avant d’en expurger l’ensemble de notre législation, placée sous la Constitution en vertu de la hiérarchie des normes qui fonde notre État de droit.
Notre rapporteur liste une série d’arguments invoqués par les opposants à la suppression du mot « race » de notre législation, arguments qui lui semblent « autant de mauvais prétextes en faveur de l’immobilisme » ne résistant pas à l’analyse. Parmi ceux-ci, celui qui fait de la suppression du mot « race » de notre Constitution un préalable à sa suppression dans notre législation fait l’objet du dernier – et du plus court – paragraphe de son rapport. Il revient, selon notre rapporteur, à faire preuve d’un « juridisme excessif », fait pour séduire « les esprits kelséniens ».
Je ne me sens pas particulièrement kelsénienne, mon cher collègue : je serais même partisane de l’autonomie de la décision politique, ce qui ne m’empêche pas d’être rigoureuse en matière juridique, car c’est une des missions essentielles du législateur : assurer la cohérence de notre édifice institutionnel et éviter les bricolages qui sont synonymes d’insécurité pour nos concitoyens. Nous devons être conséquents et éviter de légiférer n’importe comment.
Cependant, j’ai été par le passé, avec mes collègues du groupe radical, signataire d’une proposition de loi visant à supprimer le mot « race » de notre Constitution. Logiquement, je suis donc également favorable à sa suppression dans l’ensemble de notre législation, qu’il s’agisse du code pénal, du code de procédure pénale, du code du travail, du code du sport, du code des pensions militaires, de la loi sur la liberté de la presse ou encore de la loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France.
J’y suis d’autant plus favorable qu’il s’agit de remplacer le mot « race » par un autre vocable et que cette suppression n’a pas pour conséquence de saper la base juridique des poursuites prévues à l’encontre des provocations de nature raciste. Dès lors – et c’est le principal – que nous conservons un support adéquat permettant les poursuites antiracistes, nous ne pouvons qu’être favorables à la proposition de loi telle qu’elle nous est présentée, après avoir été amendée en commission des lois.
Ce qui importe, et j’en reviens à la pyramide figurant la hiérarchie des normes, chère au célèbre juriste autrichien que nous évoquions tout à l’heure, c’est que notre législation, ainsi débarrassée du vocable honni, n’entre pas en contradiction avec notre loi fondamentale. Concordance n’est pas homothétie, et nous ne sommes donc pas tenus de garder le mot « race » dans notre législation, tant que la condamnation des discriminations de nature raciste, principe constitutionnel proclamé à l’article 1er de la Constitution, ne disparaît pas avec le mot censé la fonder.
Le reste importe finalement, assez peu. Qui peut douter que la France rejette toutes les théories tendant à déterminer l’existence de races humaines distinctes ? L’ensemble des textes internationaux auxquels la France est partie suffit à répondre à la question.
La période noire du gouvernement de Vichy, État de fait ayant malgré tout instauré une législation raciste qui a été, dans l’ensemble, appliquée avec zèle, est derrière nous, mais nous ne devons pas oublier, comme le souligne à bon escient notre rapporteur, l’ambiguïté du concept de « race » en droit français.
En finir avec cette ambiguïté est de bonne législation. C’est pour cela, mes chers collègues, que les membres du groupe RRDP voteront positivement sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, écologiste et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, chacun ici est parfaitement convaincu de l’importance des mots et de l’influence du verbe sur la nature des relations sociales, sur le bien-vivre ensemble, tout simplement. Tout autant qu’une expression bien sentie a la force d’apaiser un climat social, une expression inopportune a le pouvoir de mettre le feu aux poudres et de détruire en quelques instants ce qu’un temps long aura été nécessaire à construire.
Puisque notre majorité – comme elle s’y est engagée – se fait fort de construire, pas à pas, un climat social empreint de justice et respect, il nous revient de ne rien laisser de côté, de ne rien minimiser qui puisse nuire à cet impératif consistant à vivre ensemble : harmonieusement et justement.
Le sujet qui nous mobilise aujourd’hui est de ceux-ci : il est grand temps de supprimer le mot « race » de notre législation. Au-delà du fait qu’il s’agit du strict respect de nos engagements, cette suppression est tout aussi nécessaire politiquement que juridiquement.
Nécessaire politiquement et, j’ose le dire, légitime, parce qu’il faut combattre les comportements viciés qui tentent d’empoisonner notre pays : violences racistes, actes antisémites, discriminations à l’embauche. Chaque jour enrichit un bréviaire de la haine ordinaire.
Nous ne devons laisser subsister ni dans l’esprit de nos textes ni dans leur forme la prétendue existence de races. Notre éducation, notre culture, nos métissages et les moyens qui sont les nôtres pour communiquer et échanger devraient nous prémunir de la peur et de l’ignorance. Ce n’est pas le cas, et le texte que nous nous apprêtons à voter doit être tout autant un symbole qu’un outil du combat contre ces deux fléaux. Il renforcera nos convictions.
Nécessaire juridiquement ensuite, car l’application du droit sera d’autant plus efficace et juste que ses références, ses attendus, seront en phase avec la société qu’elle a pour ambition d’encadrer.
Nous combattons la xénophobie avec force, nous disposons de lois antiracistes, et pourtant nos textes ne montrent pas l’exemple. Parler de « race », c’est catégoriser et hiérarchiser. C’est admettre implicitement que certains ont des caractéristiques physiques et morales supérieures en raison du soleil sous lequel ils sont nés. Nettoyer notre législation de ce mot, c’est ainsi démontrer par l’exemple que la lutte contre le racisme se mène contre les théoriciens et les théories du racisme. Ainsi, nous contribuons à lever toute ambiguïté : les « races » n’existent pas, notre loi n’en reconnaît aucune.
Les forces républicaines de notre pays, celles qui ne fondent pas leur action et leur discours politique sur la haine de l’autre et l’amalgame, se battent à chaque instant contre la xénophobie. Cette proposition de loi, si elle est adoptée, ce dont je suis sûre, sera leur victoire, comme l’ont été les lois de lutte contre les discriminations de 2001.
Cette loi est pour ces forces l’occasion de démontrer qu’elles ne céderont rien sur le plan de leurs exigences démocratiques ni de leurs valeurs.
Notre majorité ne saurait tolérer que les mots blessent, que les mots heurtent ou divisent. Si notre préoccupation permanente est d’initier et voter des politiques et dispositifs qui œuvrent à plus d’harmonie et de justice sociale, il convient de porter une grande attention aux mots qui sont le bras pacifiquement armé de notre philosophie politique.
Habitant une ville qui a donné à son centre social et culturel le nom d’Aimé Césaire, j’aurais pu terminer mon propos en le citant, mais je reprendrai plutôt les mots de Jean Jaurès : « Au fond, il n’y a qu’une seule race, l’humanité. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Faut-il réécrire les lois, en changer les mots afin qu’elles deviennent « politiquement correctes » ? C’est ce à quoi nous invite cette proposition de loi : bannir le mot « race » de la législation. Cette initiative est non seulement juridiquement risquée mais fondamentalement inacceptable.
Le risque est évident. En droit pénal, un mot n’en vaut pas un autre, et derrière certains se cachent des constructions jurisprudentielles et doctrinales très élaborées qui en précisent le sens et la portée.
Vouloir intervenir, pour des raisons purement idéologiques, dans un tel processus, c’est faire entrer un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il ne peut en résulter que de gros dégâts qui obligeront à reconstruire tout le système judiciaire. Comme si les juges n’avaient que cela à faire, de s’amuser à rebâtir des doctrines et des jurisprudences pour s’adapter aux lubies des politiques.
Le droit est suffisamment complexe, instable et mouvant. De grâce, ne commençons pas à le déstructurer en profondeur ! On commence aujourd’hui avec le mot « race », et demain, à qui le tour ? Quels groupes idéologiques se mettront à demander que l’on enlève certains mots ? On ouvre la boite de Pandore !
Au-delà du risque juridique, je ne peux que m’opposer viscéralement à cette attitude qui consiste à changer les mots pour imposer une novlangue. Cette proposition de loi nous amène tout droit à ce que décrit George Orwell dans son roman 1984.
On le sait, un moyen d’imposer ses idées est de décrire la réalité avec ses mots et ses concepts et d’obliger les autres à penser avec des concepts précis et orientés. Tel est le propre du combat idéologique. En voulant agir sur les textes de lois, vous choisissez de faire entrer l’idéologie dans un domaine où elle n’a pas à être. Les mots du droit doivent rester un instrument neutre.
Avec cette proposition, vous vous attaquez sciemment à cette neutralité en politisant le droit. Ce chemin, à mes yeux, mène au totalitarisme. Dans les régimes totalitaires, tout doit s’inscrire dans la ligne du parti, y compris le droit et la sémantique. Il n’y a pas de place pour des espaces neutres. L’idéologie officielle doit occuper tout l’espace. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on les appelle des idéologies totalitaires.
Cette démarche va complètement à l’encontre de mes idées libérales. Contrairement à vous, je pense qu’un certain nombre d’endroits doivent être idéologiquement neutres. Il est inacceptable que des groupuscules puissent ainsi imposer des idées minoritaires ou suscitant de fortes réticences dans une partie de la population. Il est des domaines où les changements doivent nécessairement faire consensus.
Cette proposition de loi illustre également bien la tentation, très présente à gauche, de confondre dire et faire. À croire qu’il suffit de changer les mots pour faire évoluer les choses. C’est de l’illusion qui tourne souvent à l’auto-illusion, comme beaucoup l’ont déjà souligné.
Ce faisant, vous gaspillez votre temps et votre énergie à poursuivre des chimères. Quand on voit la situation de la France qui entre en récession économique, on se demande vraiment ce que vient faire une telle proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée. On se demande également quelle solution elle pourra apporter aux multiples problèmes que rencontrent nos concitoyens.
La présence du mot « race » dans les textes de lois ne dérange personne ou presque. Mis à part quelques groupuscules idéologiques qui aiment à se donner de l’importance en combattant des moulins à vent, ce sujet n’intéresse personne.
À voir de telles propositions de lois, on se demande réellement si certains élus n’ont pas complètement perdu pied avec la réalité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Vainqueur-Christophe.
Mme Hélène Vainqueur-Christophe. L’inscription du terme « race » dans notre législation est non seulement scientifiquement infondée et juridiquement inopérante, mais surtout humainement inadmissible et choquante.
Polysémique et foisonnant, le mot « race » est dangereux par son indétermination, mais aussi par son rôle de support idéologique. Du fait de la classification qu’il induit, son utilisation historique et politique a trop longtemps permis de présenter un ordre des valeurs justifiant, soi-disant scientifiquement, l’inacceptable.
À l’heure où la peur de l’autre comme les assimilations grossières et insultantes font florès, à l’heure où les nouveaux réactionnaires banalisent un discours justifiant les inégalités de tous types, ce texte ne se contente pas de détruire une expression historiquement dépassée, il marque une véritable rupture en affirmant que le mot « race » n’a pas de place dans notre République car nous ne connaissons qu’une seule race, une seule famille, la famille humaine.
La suppression de ce terme s’inscrit par ailleurs dans la droite ligne de notre tradition constitutionnelle républicaine qui vise depuis 1789 à nier le concept même de différence naturelle, de différence par la naissance ou par la généalogie. L’apparition subreptice de ce terme dans le droit positif, puis dans la Constitution, est purement conjoncturelle et historiquement datée. Aujourd’hui, en 2013, je suis fière d’appartenir à une majorité qui met fin à cet anachronisme durement ressenti par certains et qui proclame à nouveau l’égalité entre les hommes.
En 2003 puis en 2007, des propositions de loi ont été déposées par la gauche, mais à chaque fois la droite a refusé de les voter, arguant que cette suppression risquerait de faire régresser la lutte contre les discriminations. Je dis aujourd’hui à cette droite que, même si ce terme avait une importance juridique dans notre arsenal législatif, tout juge pourrait et devrait toujours condamner les comportements ou actes à caractère raciste.
Je suis naturellement consciente que ce texte ne supprimera malheureusement pas les discours et actes xénophobes. Je suis cependant fière qu’il ôte au mot « race » toute la légitimité qu’il pourrait puiser dans notre droit positif car en effet, lorsque la loi interdit d’établir une distinction selon « la race », elle légitime paradoxalement, par simple raisonnement à rebours, l’opinion selon laquelle il existe des « races distinctes ».
C’est donc en tant que républicaine que je tiens à remercier les parlementaires de la majorité qui ont enrichi et consolidé ce texte lors de leurs travaux en commission.
J’aimerais que l’on aille plus loin que l’acte symbolique et crucial que notre assemblée s’apprête à prendre aujourd’hui en exprimant mon souhait que notre Parlement et notre gouvernement aillent, dans les prochains mois, au bout de leur logique. J’espère en effet que le terme de « race » sera au plus vite, et conformément aux engagements du Président de la République, ôté de notre Constitution.
On comprend aisément les raisons pour lesquelles, au lendemain de l’horreur de la seconde guerre mondiale, le préambule du projet de Constitution de 1946 avait introduit ce mot. On comprend beaucoup moins que le constituant de 1958, puis le législateur, aient conservé ce terme. Si nous le supprimons de notre législation, il me semble naturel, logique et important de le supprimer du texte qui fonde les bases de nos valeurs communes et de notre démocratie.
Je suis heureuse que ce texte soit voté au mois de mai, mois du souvenir chez nous, période de grande commémoration en outre-mer, mois durant lequel nous, descendants d’esclaves, nous célébrons les grandes avancées démocratiques et humaines de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et GDR.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je voudrais, en quelques mots, tenter de rassurer ceux de nos collègues qui ont exprimé des inquiétudes juridiques sur les éventuelles conséquences de ce texte ou sur la méthode, choisie par le rapporteur et approuvée par la commission des lois, consistant à commencer par supprimer le terme de « race » de la législation avant de s’attaquer à la Constitution.
Je ne voudrais pas rallonger nos débats en répondant à notre collègue Tardy sur la politisation du droit. C’est un vrai sujet, mais il me semble que le processus d’édiction du droit est par essence politique, que la légitimation du droit est elle-même politique, que le droit est nécessairement le résultat d’une politique, en tout cas dans une certaine mesure.
Bien évidemment, tout en se plaçant dans le cadre du respect de la Constitution, l’on peut considérer que, si le droit n’est pas seulement politique, il l’est tout de même plus ou moins, selon la matière visée.
La commission des lois a estimé que l’initiative du groupe GDR visant à supprimant le terme « race » de notre ordre juridique était souhaitable. Nous pouvons une nouvelle fois saluer son travail car elle a su, en prenant les précautions d’usage, manœuvrer à bon escient pour que certaines conditions soient remplies. Il fallait tout d’abord veiller à ce que la suppression de ce terme ne porte pas atteinte à l’efficacité de la lutte contre le racisme et de l’arsenal répressif. La proposition initiale ne le permettait pas mais les amendements déposés en commission répondent à cette première difficulté. Le choix du substitut « raciste » ou d’un membre de phrase comportant ce mot, par exemple « fondé sur des raisons racistes » ou sur « un critère raciste », est parfaitement satisfaisant. Il est juridiquement neutre et sa signification politique est claire. Vous l’avez rappelé : les races n’existent pas, seul le racisme existe.
Il fallait également tenir compte de notre environnement international et européen, puisque de très nombreuses conventions internationales comportent aussi ce mot, qu’il s’agisse de la charte des Nations unies, du pacte international de 1966 sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, de la convention de Genève, ou d’autres textes de droit européen comme la Convention européenne des droits de l’homme ou la directive n° 2000/43/CE. Dès lors, nous aurons à lever deux difficultés dans l’avenir, à commencer par la conformité de notre droit, une fois le mot « race » supprimé, avec ces instruments. Là encore, la solution retenue par la commission des lois permet de surmonter cette difficulté. Dès lors que les comportements racistes sont réprimés de la même manière qu’auparavant, l’objectif fixé par ces conventions est atteint. La législation française reste donc conforme au droit international et européen en intégrant les modalités qui nous ont été proposées par amendement.
La seconde difficulté tient à ce que ces instruments ayant une autorité supérieure à celle des lois, et étant pour certains d’entre eux d’application directe dans la législation française, le mot « race » subsistera dans notre droit interne. Il ne s’agit pas d’un obstacle juridique en tant que tel mais simplement d’une question de méthode. Nous avons choisi de commencer par supprimer ce terme de la législation, mais il faudra à présent travailler à sa suppression dans la Constitution et dans le domaine règlementaire. J’imagine que le Gouvernement prendra sa part. La commission des lois a fait un premier toilettage, dont je félicite le rapporteur, en modifiant cinquante-neuf articles de loi. Le pouvoir règlementaire, dans les domaines qui sont les siens, devra agir de même, sans quoi nous ne pourrons pas avancer ni concrétiser cette proposition de loi.
Reste la Constitution. J’attire l’attention de tous sur le fait que si l’article 1er de la Constitution pourra être révisé par cette législature au cas où le Congrès serait convoqué, le Préambule de 1946 demeurera tout de même. J’ai entendu dire au cours de nos débats qu’il faudrait peut-être y toucher. Rappelons aux inquiets que ce Préambule reflète des principes affirmés à une période donnée et qu’il ne sera donc pas utile de le modifier. Je ne vois d’ailleurs pas comment nous le ferions… (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alfred Marie-Jeanne, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, j’essaierai d’être bref et d’éviter la polémique.
Il est des moments où il faut savoir, quand le sujet est important et touche à nos valeurs, se ressouder. J’ai l’impression que, ce soir, un pas a été fait dans le bon sens.
Cette proposition de loi vise à supprimer le mot « race » qui a fait tant de dégâts dans le passé, concernant des millions d’êtres humains, au nom du fascisme, du racisme, et j’en passe ! On me demande de faire plus.
La mission qui m’a été confiée se rapportait à la suppression du mot « race » dans la législation française. Je veux d’abord remercier tous ceux qui, avant moi, ont défriché, déblayé le terrain, même s’ils ne sont pas arrivés au résultat escompté.
Je ne suis pas de ceux qui réclament. Je ne l’ai jamais fait et je ne le ferai pas. Je vous remercie toutes et tous de nous avoir aidés. Je n’ai pas pris contact avec les différents collaborateurs. J’ai travaillé avec Colette Capdevielle et les membres du groupe socialiste, mais pas avec ceux qui étaient porteurs du texte. Parce que je savais que ce texte comportait des imperfections.
Au départ, j’ai essayé de le « bouleverser » pour emporter votre décision. C’était un travail très délicat. Jamais on n’était allé aussi loin. Je dis bien : jamais ! Nul besoin de le démontrer ! Les propositions antérieures étaient relativement restrictives et ne concernaient qu’une petite partie du sujet.
Nous avons reçu des dizaines et des dizaines de gens. Certes, nous avons reconnu qu’il y avait des difficultés. Mais renonce-t-on à faire un pas en avant parce qu’il y a des difficultés ? Le rôle qui m’incombait était de supprimer, autant que faire se peut, dans toute la législation française, hors Constitution, le mot « race ». Quel ne fut pas mon étonnement – agréable, d’ailleurs –de constater que, sur les cinquante-neuf articles faisant problème, cinquante-cinq pouvaient être amendés très facilement, en remplaçant simplement les mots « race » ou « ethnie » par le mot « raciste ». Car ce que condamne la justice, c’est le comportement. Va-t-on empêcher certains élus, absents de notre assemblée ce soir et qui professent matin, midi et soir, des idées racistes, d’avoir ces comportements odieux, même si l’on enlève le mot « race » de notre législation ?
Or, même si l’on pouvait comprendre ce qui s’est produit dans le passé, aujourd’hui la science nous rapproche. C’est peut-être ce qui désole beaucoup de gens ! La couleur de peau ne compte pas, les cheveux blonds ne comptent pas, pas plus que les cheveux crépus ou le nez camus. La science nous a rapprochés. Alors, quel argument reste-t-il ? Il reste qu’on aurait dû d’abord commencer par la Constitution. Mais c’est un droit que je n’ai pas. Modifier la Constitution relève du législatif, du Président de la République et du Parlement. Je n’ai pas ce droit-là, je suis obligé de le dire. Et parce que je n’ai pas ce droit-là, n’ai-je pas celui, n’ai-je pas l’obligation, la mission de faire un pas en avant ?
Dans le passé, pendant des siècles, je dis bien pendant des siècles, on a inculqué aux citoyens l’idée qu’il y avait des races. Croyez-vous que c’est en un jour, en supprimant un mot, que l’on va changer les comportements racistes ? Je crois, au contraire, qu’il est des moments difficiles où le politique doit donner un signal fort.
Je l’ai dit dans mon texte, si les élus de notre pays n’avait pas aboli la peine de mort, où en serions-nous aujourd’hui ? S’il y avait eu un référendum pour demander au peuple de voter pour ou contre la peine de mort, avez-vous l’impression que cela se serait passé de la même façon ? Personnellement, je pense que non. Il y a des moments où le politique, quelles que soient les difficultés, doit donner l’exemple, et le bon exemple en la matière. Je dis bien « le politique », toutes catégories confondues.
Je remercie Mme la ministre pour le soutien du Gouvernement. Je remercie également le président de la commission des lois, qui a joué un rôle très important, je le dis en toute objectivité. Je remercie également Mme Capdevielle pour son amendement. Et je remercie toutes celles et tous ceux qui, ayant pris la parole à cette tribune, ont tout de même hésité, vacillé. Je remercie enfin ceux qui sont partagés et qui vont pour moitié s’abstenir et pour moitié voter positivement. Je n’ai pas envie de diviser davantage.
Pour ma part, je considère que c’est un grand moment et j’invite ceux qui hésitent encore à voter avec nous. Le reste vous appartient et nous appartient. Le gouvernement socialiste fera le reste. Cela veut dire qu’il prendra la décision de continuer et d’enlever le mot « race » de la Constitution.
Par contre, je le dis à ceux qui voulaient modifier le Préambule de la Constitution de 1946 : c’est daté. J’ai fait exprès, dans mon texte, de dire qu’au nom de la laïcité, j’aurais pu remonter à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et à l’Être suprême ! Cela n’a pas de sens ! Mais la Constitution actuelle, celle qui nous régit, peut être modifiée. N’est-ce pas ce qui a été fait ? Cette Constitution a été modifiée plusieurs fois, par Jacques Chirac et par d’autres. C’est par touches successives que l’on avance. On ne peut pas me démentir sur ce point.
Depuis quelque temps, la Constitution a été modifiée à de nombreuses reprises. Certains passages sont devenus obsolètes. Par exemple, l’Union française a disparu. C’est daté, c’est la marque de la législation sur les différents maillons d’une évolution continue. C’est ce que je tenais à dire pour que l’on comprenne ce que j’ai essayé de faire. Croyez-moi, je le dis très franchement, cela n’a pas été facile et j’espère que vous le comprenez. C’était même très délicat. Je me suis impliqué parce que j’étais convaincu.
J’ai envie de terminer mon intervention par un exemple concret. Lorsque l’extrême droite européenne, fasciste, colonialiste, impérialiste a loué un avion pour débarquer en Martinique, celui qui vous parle a mené campagne pendant plus de trois mois pour empêcher le Front national et les fascistes européens de débarquer en Martinique, pour la première fois au monde. C’est ce vulgaire petit député – qui n’était d’ailleurs pas député à l’époque – qui a empêché cela, alors qu’il n’était rien. J’ai apporté ma pierre à l’édifice et je sais pourquoi. Je suis un antiraciste profondément convaincu. Et ce soir, je vous demande à tous que nous nous rapprochions sur ce point. Vous n’avez pas le droit de déserter ce combat.
C’est ce que je tenais à vous dire très simplement. Je vous remercie et je souhaite que le gouvernement socialiste continue à faire le boulot qui lui incombe désormais. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et RRDP.)
Discussion des articles
Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, inscrite sur l’article 1er.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, après l’émotion suscitée par les propos d’Alfred Marie-Jeanne, il m’est difficile d’intervenir. Mais je voudrais souligner que la race, dans la taxonomie scientifique, est l’équivalent, dans le monde végétal, de la variété. Il était donc important de supprimer la variété, tels le pétunia, le thym, la sauge, le romarin, pour ne plus en faire des différences entre les êtres humains.
Je voulais aussi évoquer Alexandre Dumas, qui était un quarteron. L’une de ses grand-mères était noire. Qui s’en souvient ? Cette goutte de sang dont vous parliez, madame la ministre, il l’avait, ô combien ! Qui, à l’époque, qui encore aujourd’hui, oserait nier son immense humanité et la force des messages qu’il nous a laissés ? Victor Hugo ? Honoré de Balzac ? Certes, non ! Et encore moins Émile Zola qui, le premier, avec J’accuse, comprit que le racisme recouvrait aussi l’antisémitisme.
Pourtant, c’est au XIXe que les théories racistes, qui ont défini les races en en construisant le classement, en leur donnant une apparence scientifique, sont apparues, et c’est un Français, le comte Arthur de Gobineau qui, dans son Essai sur l’inégalité des races humaines, a théorisé le concept de race et l’a incarné dans des descriptions concrètes qui ont construit les ferments des mythes aryens dont on sait aujourd’hui les désastres qu’ils ont générés.
Juste après, le mot « race » est apparu en 1939 comme une protection, vous l’avez souligné, madame la ministre, mais n’a rien empêché du désastre. Cela n’empêcha pas non plus, vous l’avez souligné, monsieur Marie-Jeanne, qu’en 1945, subrepticement, on réintroduise le mot dans notre Constitution d’aujourd’hui. C’est de celle-là qu’il faudra l’extirper demain. Cette proposition de loi était bien nécessaire. J’en veux pour preuve l’obstination du groupe UMP – j’en suis désolée – à ne pas vouloir nous accompagner aujourd’hui dans cet hémicycle, en ce moment important et historique.
Je citerai simplement un grand monsieur, auteur il y a deux siècles et demi d’un grand texte : « Il n’est pas indifférent que le peuple soit éclairé : les préjugés des magistrats ont commencé par être ceux de la nation », écrivait Montesquieu en 1748 dans L’esprit des lois. Et il ajoutait : « En un temps d’ignorance, on n’a aucun doute, on fait les plus grands maux ; en un temps de lumières, on tremble encore lorsque l’on fait les plus grands biens. » En le paraphrasant deux siècles plus tard, je dirai à l’UMP qu’il est temps, après tant de douleur, de ne pas délaisser le bien au motif qu’on doute du mieux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n° 1.
Mme Colette Capdevielle. Nous avons perdu l’habitude de faire figurer en tête de nos textes les valeurs et principes qui les sous-tendent. Nous le faisons aujourd’hui à titre exceptionnel.
Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et même brièvement. Je propose donc de réécrire brièvement et clairement l’article 1er, afin d’affirmer le principe de la suppression du mot « race » dans notre législation tout en continuant à poursuivre et à condamner fermement tous les actes et attitudes racistes. Comme vous l’avez tous affirmé dans la discussion générale, mes chers collègues, les races n’existent pas et n’ont jamais existé. Seul reste à combattre le racisme. Tel est le sens de la nouvelle rédaction de l’article 1er qui vous est proposée.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir le sous-amendement n° 2, qui est rédactionnel.
M. Alfred Marie-Jeanne, rapporteur. Il s’agit tout simplement de supprimer le mot « interdit ».
Mme la présidente. Puis-je en déduire que vous êtes d’accord avec l’amendement, dès lors qu’il est modifié par votre sous-amendement ?
M. Alfred Marie-Jeanne. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le sous-amendement, qui propose de supprimer la référence à l’interdiction, peut surprendre, mais celle-ci, après tout, semble aller de soi dès lors que la condamnation est affirmée. Le Gouvernement émet donc un avis favorable au sous-amendement.
Il en va de même pour l’amendement. Toutes les interventions ont très clairement montré une convergence, sinon générale du moins énoncée, structurée, formulée et argumentée – à une exception près, celle d’un orateur de l’UMP qui a détaillé les raisons pour lesquelles il voterait contre ce texte, M. Jean-Frédéric Poisson ayant annoncé que pour sa part il s’abstiendrait. Il existe donc un engagement très fort contre ce fléau qu’est le racisme.
La modification proposée de l’article 1er reflète donc très clairement la position, la volonté et l’intention du législateur, tant du rapporteur de la commission des lois que des autres députés. Cette nouvelle formulation est, comme je l’ai dit tout à l’heure dans mon intervention, plus haute, plus élevée, plus formelle aussi, et affirme très clairement dès ses premiers mots que nous sommes bien dans un choix de valeurs et dans l’affirmation résolue que la République condamne le racisme. Voilà qui donne un autre relief au texte de loi. Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable au sous-amendement comme à l’amendement.
(Le sous-amendement n° 2 est adopté.)
(L’amendement n° 1, sous-amendé, est adopté et devient l’article 1er.)
Articles 2 à 10
(Les articles 2 à 10 sont successivement adoptés.)
Explications de vote
Mme la présidente. Au titre des explications de vote, la parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. André Chassaigne. C’est avec émotion que je prends la parole pour donner une explication de vote, superfétatoire dès lors que mon groupe et moi-même sommes signataires de la proposition de loi. Je pourrais, bien sûr, reprendre les arguments qui ont été développés. Je vous donnerai simplement, dans un premier temps, lecture de la définition du mot « race » dans le dictionnaire Larousse : « Nom féminin, de l’italien razza, du bas-latin ratio, espèce. Catégorie de classement de l’espèce humaine selon des critères morphologiques ou culturels, sans aucune base scientifique et dont l’emploi est au fondement des divers racismes et de leurs pratiques. » Une explication suit : « Face à la diversité humaine, une classification sur les critères les plus immédiatement apparents (couleur de la peau surtout) a été mise en place et a prévalu tout au long du XIXe siècle. Les progrès de la génétique conduisent aujourd’hui à rejeter toute tentative de classification raciale des êtres humains. »
J’aurais pu revenir, dans mon explication, sur la motivation consistant à adapter la législation à ces considérations scientifiques. J’aurais pu aussi développer l’intérêt pédagogique et idéologique d’une telle démarche en des temps où le racisme, la xénophobie, le clivage et le rejet de l’autre vont croissant. Je pourrais aussi développer une argumentation politique rappelant que le mot « race » a souvent été utilisé dans notre histoire pour dominer, exploiter et coloniser.
Mais mon explication tiendra en deux affirmations. Je dirai tout d’abord que je suis très fier d’être président du groupe de la gauche démocrate et républicaine qui a déposé la proposition de loi. Celle-ci reprend un texte de loi déposé par mon ami et camarade Michel Vaxès que j’avais particulièrement apprécié il y a dix ans, alors que j’étais nouveau député. À l’époque, il n’avait pas été adopté et Michel en avait fait une affaire personnelle ; il avait beaucoup argumenté, réfléchi et expliqué. Nous le reprenons aujourd’hui et je suis très fier que notre rapporteur Alfred Marie-Jeanne, issu de la deuxième composante de notre groupe, celle des ultramarins, comme on dit, se soit saisi du texte et l’ait travaillé méticuleusement au cours d’auditions prenant en compte toutes les observations puis du remarquable exposé qu’il vient de faire. Il ne s’est pas exprimé avant, auprès des médias en particulier, car il tenait à ce que le texte soit adopté sans qu’aucune exploitation ne puisse l’empêcher.
J’évoquerai pour finir l’immense bonheur de vous avoir écoutée, madame la ministre, dont je n’ose qualifier l’intervention, très belle, sublime même. Les autres interventions le furent également, à quelques exceptions près mais chacun peut faire le choix, que je respecte, d’une approche idéologique différente. On en est parfois, chose peut-être trop rare, fier de siéger dans une assemblée comme celle-ci. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Colette Capdevielle. Le groupe socialiste, républicain et citoyen votera ce texte émanant du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Enfin ce texte sera voté, après tant de rendez-vous manqués et d’occasions ratées ! Les obstacles juridiques ont été levés et nous avons tous, à une exception près, montré que la prévention et les poursuites sont sécurisées et qu’il n’y aura donc pas de vide juridique ni d’absence potentielle de poursuite. Nous sommes nombreux à regretter l’absence d’unanimité sur le vote du texte pour bien terminer la journée.
Notre société a changé, il faut l’admettre. Le poids des mots est important et il ne faut pas avoir peur de modifier les textes quand leur lexique ne correspond plus à notre société. C’est la raison pour laquelle nous votons ce texte, ne serait-ce que pour le symbole qu’il représente. Je conclus, puisque vous avez toutes et tous fait de belles citations, avec l’académicien Léopold Sédar Senghor : « J’ai rêvé d’un monde de soleil dans la fraternité de mes frères aux yeux bleus. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)