17-05-2011

Huiles et gaz de schiste : motion de renvoi en commission

Motion de renvoi en commission

(…)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la ministre, mes chers collègues…

M. Jean-Marc Ayrault. Rappel au règlement !

M. le président. Non, pas de rappel au règlement ! (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) M. Chassaigne a commencé son intervention sur la motion de renvoi en commission ; le rappel au règlement aura lieu après son intervention. (Vives protestations sur les mêmes bancs.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Il n’a pas commencé ! Rappel au règlement !

M. André Chassaigne. Mes chers collègues, voulez-vous que je quitte la tribune ?

M. le président. Monsieur Chassaigne, avez-vous achevé votre intervention ? (Très vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Martine Billard. Pourquoi cherchez-vous l’incident, monsieur le président ?

Plusieurs députés du groupe SRC. C’est une provocation !

M. Jean-Marc Ayrault et M. François Brottes. La séance était à peine reprise !

M. le président. Le règlement de notre assemblée est très clair. Dès lors que j’ai donné la parole à l’orateur qui défend la motion de renvoi, il a la parole. (Très vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

S’il doit y avoir un rappel au règlement, il se fera après.

Monsieur Chassaigne, vous avez la parole. (Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Marc Ayrault et M. Yves Cochet. La séance n’était même pas reprise !

Mme Nicole Ameline. Mais si !

M. le président. La séance était reprise. Il n’y a aucun doute là-dessus.

M. Jean-Marc Ayrault. Alors, nous allons quitter l’hémicycle.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, pourquoi ce comportement ?

M. le président. Monsieur Chassaigne, vous avez la parole ; il y aura un rappel au règlement après votre intervention. (Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Marc Ayrault. C’est inacceptable !

M. le président. Monsieur Chassaigne, je vous ai donné la parole, vous avez même commencé votre intervention…

Plusieurs députés des groupes SRC et GDR. Non, il n’avait pas commencé !

M. le président. Si vous refusez de continuer, monsieur Chassaigne, nous allons passer aux explications de vote. (Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Philippe Martin. Mais pourquoi ce comportement ? Madame la ministre, réagissez !

M. le président. Monsieur Chassaigne, voulez-vous commencer votre intervention ? (Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Monsieur Chassaigne, une dernière fois, vous avez la parole. (Mêmes mouvements.)

M. Yves Cochet. Monsieur le président, je demande une suspension de séance pour réunir mon groupe.

M. le président. Mais il n’y a pas de suspension de séance pendant la défense d’une motion ! Monsieur Chassaigne, voulez-vous prendre la parole ? (Huées redoublées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Christophe Caresche. Mais où vous croyez-vous, monsieur le président ? Nous sommes à l’Assemblée nationale ! M. Philippe Plisson. C’est scandaleux !

M. le président. Monsieur Chassaigne je le répète, si vous avez fini, je mets la motion de renvoi en commission au vote. (« Il n’a pas commencé ! » sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Martine Billard. Monsieur le président, vous êtes fou ! Imaginez-vous les échos de ceci dans la presse demain ?

M. Jean-Claude Bouchet. C’est un abus de pouvoir de M. Ayrault !

Mme Françoise Briand. Calmez-vous ! On est à l’Assemblée nationale, pas au cirque !

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est scandaleux ! Ce sont des méthodes de voyous !

M. Jacques Valax. Rendez-nous Accoyer ! Accoyer, président ! (Rires sur les bancs du groupe SRC, dont plusieurs députés scandent « Accoyer, Accoyer ! »)

M. le président. Je suis désolé.

Monsieur Chassaigne, vous avez la parole. (Nouvelles huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Mais quelle image la gauche donne-t-elle de l’Assemblée ?

M. Philippe Plisson. C’est le président de séance qui donne une mauvaise image ! Une image de dictature !

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous rendez-vous compte de ce que vous faites ?

M. Philippe Plisson. C’est vous qui ne vous rendez pas compte !

M. Yves Cochet. Monsieur le président, je demande une suspension de séance de dix minutes pour réunir mon groupe.

M. le président. Mais non, il n’y a pas de suspension de séance pendant que l’orateur défend la motion de renvoi en commission. Je suis désolé, mais c’est comme ça. (Huées continues sur les bancs des groupes SRC et GDR. — Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Ayrault. Alors, nous quittons la séance.

M. André Chassaigne. C’est pour une question de principe, monsieur Ayrault, que vous souhaitez parler tout de suite ?

M. le président. On ne peut pas interrompre un orateur ! Le règlement de notre assemblée est extrêmement clair. (Le groupe SRC quitte l’hémicycle.) Motion de renvoi en commission

M. le président. Monsieur Chassaigne, vous prendrez la parole quand vous voulez ; mais le temps passe.

M. André Chassaigne. Madame la ministre, mes chers collègues, le contexte et les conséquences du recours à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels viennent d’être largement évoqués.

Alors que différents textes ont été déposés, par des parlementaires de toutes sensibilités, pour abroger les permis exclusifs d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels, l’arrivée rapide de ce texte en séance publique cherchait avant tout à apaiser la colère de tous ceux qui se sont mobilisés depuis plusieurs mois contre une énième contradiction environnementale du Gouvernement.

Si l’on peut se réjouir du fait que la majorité des parlementaires ont aujourd’hui pris conscience de la nécessité de mettre un terme à la technique de la fracturation hydraulique pour l’exploitation minière, nous ne pouvons oublier l’histoire de ces permis exclusifs octroyés généreusement, et dans la plus grande discrétion, en 2008 et 2009 pour les huiles de roche-mère en Île-de-France, et aux mois de mars et avril 2010 pour les gaz de schiste dans le sud de la France.

Vous avez dit tout à l’heure, madame la ministre, que ces permis n’ont pas été accordés dans de bonnes conditions, avec des procédures suffisantes.

Il est cependant curieux de constater que le ministre de l’écologie méconnaissait à l’époque les principes élémentaires de transparence et de participation des citoyens, qu’il défendait pourtant, au même moment, et avec conviction, devant les parlementaires, lors des débats sur le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, dit « Grenelle 2 ».

Sans doute, dans le cas des gaz et huiles de schiste, l’esprit de Grenelle ne planait-il pas encore sur tous les actes du ministère de l’écologie – à moins que cet esprit ne se soit curieusement évaporé pour ce qui concernait notre sous-sol, à la demande de groupes spécialisés.

À la décharge de M. Borloo, il semble que du point de vue juridique le sous-sol de notre pays ne fasse toujours pas partie de notre environnement, bien qu’il soit reconnu comme patrimoine commun de la nation ; il est nécessaire, je le crois, de revoir de fond en comble notre code minier pour l’adapter aux exigences sociales, environnementales et démocratiques de notre temps.

Encore faudrait-il que cette réforme fût globale et qu’elle proposât des modifications profondes du droit à l’information et à la participation du public déclinant la Convention d’Aarhus ratifiée par notre pays et les deux textes du Grenelle de l’environnement.

Encore faudrait-il donner une véritable portée juridique à la définition des ressources du sous-sol comme patrimoine commun, en excluant par exemple leur exploitation dans le cas où elles portent manifestement atteinte aux hommes, à leur santé ou à leur environnement.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous faisons tous le constat de l’insuffisance des connaissances à notre disposition sur les ressources d’hydrocarbures non conventionnels et, plus encore, sur les conditions de leur exploration ou de leur possible exploitation,

Plusieurs missions d’information travaillent, plusieurs rapports sont en cours d’élaboration, avec des objets et des portées différents. J’espère qu’ils nous permettront d’avancer sur la voie de la connaissance et ne serviront pas d’alibi ou de simple code de bonne conduite aux grands groupes industriels de l’extraction et du pétrole.

Le premier pré-rapport conjoint sur les hydrocarbures de roche-mère en France du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et du Conseil général de l’environnement et du développement durable est effectivement tout à fait lacunaire et partiel, je dirai même partial, en ce qui concerne l’évaluation des impacts environnementaux et sociaux, pourtant connus, notamment aux États-Unis. II reste encore plus évasif quand il s’agit d’évoquer le bilan carbone de l’ensemble de la filière de production des gaz et huiles de schiste et il ne dit pas un mot des perspectives, en termes d’émission de gaz à effet de serre, de l’exploitation massive de ces ressources fossiles.

Certes, ce rapport d’évaluation reste sans doute à finaliser mais quelle curieuse omission ! Votre lettre de mission précisait pourtant, madame la ministre, que « l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre semble devoir faire l’objet d’une attention particulière ».

Les principales conclusions de ce rapport appellent d’ailleurs à une nécessaire recherche de « compatibilité » afin de « contribuer à l’émergence et à la formation d’opérateurs et de sous-traitants nationaux susceptibles de se positionner sur le marché mondial ». Le décor capitalistique est planté, et il me rappelle curieusement les débats que nous avions sur la question des organismes génétiquement modifiés ou encore en matière énergétique, avec la loi NOME. Ce parti pris en faveur de l’exploration et de l’exploitation par les sociétés titulaires des permis exclusifs n’est tout simplement pas tolérable !

Je ne saurais que recommander aux futurs auteurs de rapports de faire preuve de plus d’objectivité et de rigueur dans l’analyse des faits, des impacts et des perspectives de cette filière, pour fournir à la représentation nationale, et à chaque citoyen des éléments de connaissance plus approfondis.

Dans le cadre de l’examen, devenu manifestement urgent, de cette proposition de loi, vous avez souhaité, monsieur le rapporteur Havard, modifier le texte présenté en commission afin, prétendez-vous, de le rendre juridiquement plus stable, en habillant de quelques oripeaux la référence à l’abrogation des permis exclusifs octroyés.

De fait, la rédaction de l’article 2 du texte que nous examinons aujourd’hui laissera aux titulaires des permis la liberté de poursuivre leurs expérimentations en recourant à des artifices techniques avec tous les risques potentiels que cela représente et malgré l’incertitude qui pèse sur leurs motivations réelles et leurs agissements. Une réflexion de fond sur une nouvelle rédaction plus précise et contraignante pour les entreprises concernées m’apparaît indispensable. La proposition de loi doit en sortir clarifiée, et les permis accordés doivent être très rapidement abrogés ; c’est ce que je vous propose avec cette motion de renvoi en commission.

Ce n’est pas, en revanche, et quels que soient les arguments juridiques avancés, ce à quoi tend la rédaction actuelle. En adoptant ce texte en l’état, vous seriez donc immédiatement suspectés de vouloir ménager la chèvre et le chou, ce qui, naturellement, n’est pas votre cas !

M. Michel Havard, rapporteur. Naturellement !

M. André Chassaigne. Quant à la contre-offensive judiciaire des titulaires des permis, il serait vain de croire que nous pourrions nous y soustraire dans un cas comme dans l’autre. Il faut donc marquer clairement notre volonté politique sur ce sujet.

La colère qui s’est exprimée avec raison, ces derniers mois, dans les territoires tient directement à l’octroi de permis exclusifs d’exploration et d’exploitation dont les conditions semblaient procéder plus des règles coutumières des chercheurs d’or de la conquête de l’Ouest que des prérogatives d’une démocratie moderne.

Chers collègues, je ne veux pas faire ici une revue détaillée des conséquences environnementales et sanitaires connues à ce jour de l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère par fracturation hydraulique mais, qu’il s’agisse des volumes d’eau considérables employés, des adjuvants toxiques utilisés, des risques de diffusion de polluants dans les nappes phréatiques, du traitement des eaux contaminées remontées en surface, des emprises au sol des installations ou des transports nécessaires à l’ensemble du cycle d’exploitation, tout nous pousse, dès maintenant, à demander l’interdiction de la technique de la fracturation hydraulique sur la base des principes constitutionnels de précaution et de prévention. Nous devons, dans le même temps, mettre un terme à tous les permis exclusifs accordés sans prise en compte de leurs conséquences.

Je vous invite donc à voter en faveur de cette motion de renvoi en commission afin de reprendre sereinement le débat dans un souci d’approfondissement pour aboutir à une rédaction sans ambiguïté. La pire des choses – je dis bien la pire des choses – serait de passer en force en séance en confirmant ou en adoptant des amendements de circonstance ou fondés sur des non-dits.

Au-delà, notre débat se doit aussi, je le pense, de porter sur l’exploitation même de ce type de ressources.

M. Yves Cochet. Très bien !

M. André Chassaigne. Deux points fondamentaux me semblent ainsi absents, ou insuffisamment développés.

Le premier, c’est le lien qui existe entre, d’une part, la problématique de l’exploration et de l’exploitation de ces ressources d’hydrocarbures non conventionnels et, d’autre part, les choix énergétiques et le nouveau mode de développement que nous devons promouvoir à l’échelle nationale, européenne et mondiale pour satisfaire les engagements de baisse de 80 % de nos émissions de gaz à effet de serre, en prenant en compte le fait que les ressources énergétiques ne sont pas une denrée inusable.

M. Yves Cochet. Bravo !

M. André Chassaigne. Je ne veux pas être trop long mais je tiens à rappeler – dans le cadre des trente minutes qui me sont imparties – quelques éléments qui montrent l’ampleur du défi de société que nous devons relever si nous voulons lutter efficacement contre le réchauffement climatique.

Notre biosphère a une capacité de recyclage et d’assimilation de trois milliards de tonnes équivalent carbone chaque année, soit environ cinq cents kilogrammes par terrien et par an. Cela diminuera évidemment au fil de la progression du nombre d’habitants.

Pour compenser les excès d’émissions passées, qui affectent, pour plusieurs décennies au moins, le climat d’aujourd’hui et celui de demain, et si l’on veut respecter les recommandations du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, il faut se donner pour objectif de réduire, à l’horizon 2050, les émissions de CO2 à 250 kilogrammes par habitant et par an. Prenons la mesure de ce que représente cet objectif quand un résident français émet aujourd’hui en moyenne – je dis bien « en moyenne », avec tout ce que cela implique – deux tonnes de CO2 an ! Cela suppose, pour notre pays de réduire de plus de 85 % ses émissions de CO2, alors même que nous ne sommes pas parmi les pires élèves des pays industrialisés. En outre, le volume des émissions actuelles liées à l’activité agricole correspond à lui seul au niveau à atteindre et le développement d’une agriculture écologiquement intensive, que nous souhaitons, ne permettra pas d’obtenir une réduction suffisamment significative.

Pour atteindre cet objectif, la France ne devrait tout simplement plus utiliser, vers l’an 2050, d’énergie carbonée pour toutes ses activités industrielles, de transport ou résidentielles.

Un député UMP. Il reste quoi ?

M. Michel Havard, rapporteur. Il reste le nucléaire alors ?

M. André Chassaigne. Il faut aussi mettre en perspective cet objectif au niveau mondial, avec des pays qui ont des consommations moyennes beaucoup plus importantes, notamment les États-Unis, le Japon ou certains pays européens. Mesurons aussi l’impact de la forte croissance des émissions des pays en développement, notamment la Chine, l’Inde et le Brésil.

Dans ce contexte, le recours à l’exploitation des ressources d’hydrocarbures non conventionnels nous paraît-il soutenable ? Je ne le pense pas, et faire croire que l’on peut encore aujourd’hui confier ce type de débat à quelques spécialistes, sans y associer largement les citoyens, les salariés et les élus de notre pays, est une erreur très grave.

Je déplore pour ma part cette sorte de stratégie de confinement démocratique sur les grands enjeux énergétiques et climatiques. Elle conduit d’ailleurs, comme sur les autres sujets touchant à l’évolution des connaissances et des techniques, à confisquer aux citoyens le droit de décider en toute conscience de leur avenir.

Les parlementaires communistes, républicains et du parti de gauche jugent indispensable la tenue d’un grand débat public sur cette question. La définition et la mise en œuvre de politiques publiques ambitieuses pour enclencher rapidement une véritable transition vers la sobriété et l’efficacité énergétiques doivent impérativement passer par une confrontation à ces questions que nous devons nous poser collectivement.

Le second point que l’on ne voit pas apparaître dans ces débats, c’est la maîtrise sociale et publique de l’énergie.

Devons-nous considérer comme allant de soi que des ressources naturelles, dont l’existence et l’étendue restent imprécises et qui sont considérées comme appartenant au patrimoine commun de la nation par le préambule de la Charte de l’environnement et par l’article L. 110-1 du code de l’environnement, soient gérées comme d’autres biens par le marché et l’initiative privée ?

Devons-nous considérer que le devenir de notre sous-sol, notamment de nos ressources en eau contenues dans les nappes phréatiques, devra être confié à « des sous-traitants et opérateurs nationaux susceptibles de se positionner sur le marché mondial », comme l’affirment de façon péremptoire les quatre courageux ingénieurs généraux des mines, corédacteurs du rapport sur « les hydrocarbures de roche-mère en France » ?

N’avons-nous pas là, au contraire, une nouvelle occasion de réfléchir ensemble à notre avenir, en donnant corps à d’autres principes de gestion de ces ressources, qui s’appuieraient de façon raisonnée sur l’anticipation des besoins potentiels des générations futures, plutôt que sur l’appropriation privée et la logique spéculative des marchés ?

Plutôt que d’alimenter la boulimie de rentabilité et de profits des actionnaires avides de quelques entreprises privées du secteur pétrolier ou de l’extraction, dont la morale environnementale est bien connue, le cas d’espèce des gaz et huiles de schiste ne doit-il pas servir à la constitution d’un grand pôle public de l’énergie ?

Car un pôle public de l’énergie associant les producteurs, les distributeurs et les usagers est le mieux à même de garantir l’intérêt général de nos concitoyens en matière énergétique en les associant pleinement à leur avenir. Et seul un grand service public national est capable d’organiser une véritable transition énergétique sur la base de ces trois piliers fondamentaux : la maîtrise de la demande d’énergie ou « sobriété énergétique », l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables.

Nous le voyons bien, pour satisfaire à nos engagements climatiques, sociaux et environnementaux, le recours aux énergies fossiles comme les gaz et huiles de schiste n’apporte pas de solution. C’est au contraire un problème supplémentaire qui influence la poursuite d’une économie carbonée.

Certains argueront que notre pays est structurellement dépendant des énergies fossiles, et en particulier du pétrole et du gaz – à hauteur de 45 milliards d’euros l’an dernier, comme l’a précisé Mme la ministre. Pour autant, cela justifie-t-il de prôner une politique de courte vue en recourant à ces mêmes ressources par simple effet de substitution aux importations, plutôt que de définir un autre avenir énergétique ?

Personne ne peut ignorer que le choix de s’engager avec frénésie dans l’exploitation déraisonnable de ces ressources non conventionnelles fait par les États-Unis, et par d’autres pays, y compris bientôt par les pays européens, apparaît totalement contradictoire avec les enjeux qui se posent à l’humanité. Sur des bases alliant fièvre spéculative et recherche d’indépendance énergétique, nous voyons se matérialiser le scénario climatique du pire.

Je rappelle qu’après le fiasco du sommet de Copenhague, le sommet de Cancun devait être un moment clé pour se donner des moyens et des outils afin d’atteindre l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 2 °C, recommandé par le GIEC, au-delà duquel, je le répète, certaines conséquences ne sont plus maîtrisables.

Curieusement, les grandes puissances ont soigneusement évité de définir des engagements contraignants de limitation des émissions de gaz à effet de serre à Cancun, Après Copenhague et Cancun, la conférence de Durban, fin 2011, poursuivra sans nul doute sur le même chemin du renoncement. Un jour, pourtant, il faudra bien régler le passif ! Comment ne pas faire le rapprochement entre ce renoncement permanent et le recours à l’exploitation massive des sables bitumineux au Canada hier, puis aux gaz et huiles de schiste aujourd’hui ?

Madame la ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons sans cesse jouer la stratégie d’évitement de nos responsabilités environnementales. Nous ne pouvons tolérer que les grandes puissances se défilent devant les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique.

Ce débat sur les hydrocarbures non conventionnels doit aussi être l’occasion de reconstruire une politique énergétique européenne tournée vers l’avenir, c’est-à-dire vers l’avenir de l’humanité tout entière.

C’est pourquoi je vous invite à voter cette motion de renvoi en commission pour clarifier la volonté politique de notre pays en matière de recours aux ressources d’hydrocarbures non conventionnels. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Comme André Chassaigne aura des réponses à la plupart de ses remarques tout à l’heure à l’occasion de la discussion générale, je ferai une simple remarque.

Certes, la mission diligentée par mon collègue Éric Besson et moi-même peut aujourd’hui paraître insuffisante, mais le rapport final n’est pas rendu. Nous n’avons eu qu’un rapport d’étape et c’est sur la base de ce rapport, sans aller plus loin, alors que nous en étions seulement à la suspension des opérations de fracturation hydraulique, que nous avons suivi les parlementaires et décidé de prendre des mesures plus radicales.

Cela étant, le Premier ministre l’a annoncé, la mission se poursuit, comme se poursuivent d’ailleurs les travaux des parlementaires. Je ne prétends pas que le rapport de la mission, aujourd’hui, a épuisé la question de l’impact sur l’environnement global, et notamment sur le changement climatique, de l’exploitation des gaz de schiste. Sans attendre la fin de la mission, la majorité a choisi d’aller plus loin que la simple suspension qui était décidée jusqu’à présent.

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe GDR.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, André Chassaigne a excellemment défendu la motion de renvoi en commission d’un texte qui, à l’évidence, ne répond ni aux interrogations de l’ensemble de la représentation nationale ni à celles de nos concitoyens sur des territoires connus pour contenir dans leur sous-sol des gaz ou des huiles de schiste.

Il s’agit, premièrement, d’interdire le recours à une technique connue pour son agression et sa mise en cause potentielle des nappes phréatiques ; deuxièmement d’interdire à des titulaires de permis d’exploitation actuels d’en profiter pour se servir des insuffisances du code minier et contourner la volonté du législateur ; troisièmement, de se prémunir contre toute tentative de pression des groupes intéressés pour imposer leur loi dans ce domaine comme dans d’autres.

La façon dont ce texte est venu ici en urgence, avec un amendement de dernière minute présenté en commission et lourd de conséquences, n’est évidemment pas satisfaisante et nourrit toutes les suspicions légitimes sur la réalité de votre volonté de revenir sur les permis accordés. Elle justifie à elle seule la demande de renvoi en commission pour que toutes les questions posées par la motion de renvoi, mais aussi par la motion de rejet préalable de notre collègue Cochet, reçoivent les réponses nécessaires.

Mais ce débat sur les gaz et les huiles de schiste justifie, par ses conséquences, d’autres questions lourdes, elles aussi. Le GIEC l’a bien montré, la priorité est la lutte contre les gaz à effet de serre. Dès lors, c’est la question même du recours amplifié aux énergies fossiles qui est posée et à laquelle il nous faut réfléchir, non en cercle fermé, mais dans le cadre d’un débat bien plus large, un véritable débat public.

Compte tenu de la priorité de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, gardons-nous d’envisager un recours accru aux énergies fossiles, celles de schiste comme les autres. Mais il serait sans doute illusoire de tout interdire, ne serait-ce que parce qu’il faudra bien accompagner le développement de certaines énergies renouvelables dont l’intermittence nécessite le recours à ces énergies fossiles. Tout cela doit aussi être versé au débat.

Toutes ces raisons justifient le renvoi du texte en commission.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Ameline, pour le groupe UMP.

Mme Nicole Ameline. Quelle formidable contradiction, monsieur Chassaigne, à un moment où l’Assemblée doit prendre une responsabilité majeure, de vous entendre évoquer à cette tribune des éléments essentiels, souligner l’urgence de ce dossier et, dans le même temps, demander le renvoi du texte en commission ! Où est la cohérence ? Où est la crédibilité ? Où est l’efficacité ? Car ce qu’attendent les Français aujourd’hui, c’est une décision claire, une réponse à leurs inquiétudes, et c’est l’exercice de notre responsabilité.

Dans ce domaine comme dans d’autres, notre groupe a pris l’initiative et il défendra ce texte qui concilie les exigences fondamentales de protection de l’environnement, notre vision de l’avenir et la recherche de solutions nouvelles dans le domaine de l’énergie.

Monsieur Chassaigne, le courage politique, c’est davantage la décision que l’incantation. Je voudrais vous rassurer sur la détermination totale du groupe UMP à assumer pleinement sa responsabilité sur ce dossier, dans le respect de l’éthique et des valeurs qui fondent le Grenelle de l’environnement, que nous partageons. Mais dès à présent, nous exercerons cette responsabilité en repoussant avec détermination cette motion qui nous paraît totalement contraire à l’esprit de responsabilité de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Plisson, pour le groupe SRC.

M. Philippe Plisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la position du Gouvernement concernant les gaz de schiste s’apparente à la chorégraphie de la bourrée saintongeaise que j’ai pratiquée : je fais trois pas en avant, deux en arrière – je pourrais la danser devant vous ! –, un à droite, un à gauche, puis je saute en l’air en tournoyant sur moi-même et je repars dans l’autre sens ! (Rires et exclamations.)

Ainsi, après que le ministre Borloo a décidé unilatéralement de signer un décret autorisant le permis de recherche sur les gaz de schiste, le député Borloo déposait quelques semaines plus tard un projet de loi visant à les interdire, juste après le président du groupe UMP, lui-même touché par la grâce écologiste !

Préalablement à ces grandes manœuvres, le groupe SRC avait déposé une proposition de loi proposant de supprimer les autorisations de recherche. Contraint et forcé, il a dû négocier un aggiornamentopour éviter de disparaître des écrans radars, vu que ceux qui disposent de l’ordre du jour, autrement dit la majorité UMP, menaçaient de mettre en débat leur propre proposition, bien que plus tardive, avant la sienne. Dont acte !

Or l’enthousiasme écologiste des convertis de la vingt-cinquième heure n’a pas tenu longtemps face à l’activisme des lobbies productivistes, les mêmes qui ont déjà sévi lors du Grenelle 2 pour, entre autres, torpiller les énergies renouvelables.

M. Richard Mallié. Croyez-vous vraiment ce que vous dites ?

M. Philippe Plisson. Il faut donc être clair et revenir aux fondamentaux : là comme ailleurs, nous n’avons pas les mêmes valeurs !

Cette extraction forcenée de gaz de schiste polluante, dégradante pour les paysages et, au bout du compte, très peu productive au regard des dégâts qu’elle engendre, va dans le sens inverse de ce qu’il faut faire. En effet, il faut cesser cette course pathétique à la quête des dernières gouttes de ressources fossiles, dont le coût environnemental et financier est exorbitant et qui ne fait que repousser l’inexorable échéance de leur disparition dans ce monde fini.

Il faut au contraire mettre en œuvre une véritable transition volontariste vers les énergies renouvelables, conformément au rapport du GIEC du 9 mai 2011, que je cite : « 80 % de l’approvisionnement énergétique mondial pourrait être couvert par les énergies renouvelables à l’horizon 2050 à condition que les politiques publiques adaptées soient mises en place. »

M. Alain Gest. À l’horizon 2050 !

M. Philippe Plisson. Nous sommes là au premier acte de la mise en œuvre de ces principes et, en plein accord avec ces scientifiques reconnus, nous voterons la motion de rejet du groupe GDR, qui porte à la fois nos préoccupations immédiates de défense des territoires menacés et d’application du principe de précaution pour nos concitoyens qui y vivent, mais plus encore, s’inscrit dans nos objectifs d’avenir, ceux de la mise en œuvre d’un nouveau modèle de développement qui conjugue enfin l’écologie et le social. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, les conditions pour débattre sereinement ne nous semblant pas réunies, je demande une suspension de dix minutes pour réunir mon groupe.

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