13-10-2017

Accords CETA / MERCOSUR : intervention lors de l’audition de Phil Hogan - Commissaire européen à l’Agriculture

Commission des affaires européennes

Mardi 10 octobre 2017

11 h 30

Audition conjointe avec la commission des Affaires économiques de M. Phil Hogan, commissaire européen à l’Agriculture et au Développement durable

Coprésidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la commission et de M. Roland Lescure, Président de la commission des affaires économiques

La séance est ouverte à 11 h 30.

La commission entend, en audition commune avec la commission des affaires économiques, M. Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture et au développement durable.

[…]

M. André Chassaigne. J’interviens au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Monsieur le commissaire, vous avez résumé l’attente que vous aviez des agriculteurs français en disant « ils ont du talent et l’ambition de continuer à triompher ». Mais ce sont des mots ! J’ai moi-même peut-être un langage un peu vif mais vous ne tenez pas compte de la réalité : ce sont les décisions prises au niveau de la PAC qui, en fait, alimentent ce formidable affaiblissement de l’agriculture européenne et française.

Quand vous parlez du CETA, vous usez de formules déconnectées des réalités. Il est faux de dire qu’il n’y aurait pas eu de compromis : le volet agricole de ces négociations ne comporte aucune réelle garantie quant au respect des normes européennes ou à la qualité des productions. Moins de 10 % des 1 500 indications géographiques protégées (IGP) européennes sont référencées – donc protégées – dans le CETA. Vous parlez de « confiance » mais, pour ne prendre qu’un seul exemple, personne n’a pu à ce jour nous démontrer l’intérêt pour les Européens de disposer de viande bovine canadienne, transitant sur des milliers de kilomètres, alors que nos productions communautaires et locales sont de grande qualité et que leurs atouts environnementaux sont reconnus.

Pensez-vous véritablement que cette ouverture à tout va du marché – dont nous connaissons les conséquences concrètes – va permettre le maintien d’une agriculture européenne ? Que cela sera économiquement positif pour l’agriculture européenne ? Les observateurs estiment au contraire que ce sera « perdant-perdant », en particulier pour les éleveurs français.

Nous retrouverons la même situation avec le Mercosur, puisque le Président Juncker a récemment fait part de son intention d’ouvrir en grand les vannes de la négociation, y compris au niveau agricole, sans aucun doute en prenant appui sur le précédent du CETA. Soyons donc précis, concrets, pédagogiques : quels sont les avantages et inconvénients de ces accords ou de ces projets d’accords pour le secteur agricole ? Quel est l’intérêt objectif pour les agriculteurs européens, pour les consommateurs ? Cela nous permettra-t-il de répondre aux grands enjeux alimentaires et environnementaux de notre siècle ?

Je reviendrai également sur la garantie des prix qui s’inscrit dans l’article 33 du Traité instituant la Communauté européenne et exige notamment « d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture ». Pour y arriver au niveau européen, il faut des prix planchers. Mais vous menez uniquement une politique de libre concurrence et de compétitivité à tout prix… En conséquence, des territoires entiers vont mourir et notre agriculture continuera à dépérir.

M. Phil Hogan. […] Je tiens à souligner un point très important s’agissant de nos accords commerciaux : le CETA est un accord exigeant en matière de normes. C’est par ailleurs le plus important accord conclu par l’Union européenne avec un grand pays. Les négociations avec le Mercosur sont en cours et représentent huit fois les enjeux financiers du CETA ! C’est considérable. Mais, in fine, ce seront les États membres qui signeront, ou pas, ces accords. En outre, la Commission publie les mandats, mais ils doivent ensuite recevoir l’aval du Conseil, donc des gouvernements des États membres : ce sont eux qui mandatent la Commission pour ces négociations et qui donnent leur aval.

Ce n’est certes pas ce qu’a dit l’un d’entre vous, mais c’est bien ainsi que les choses se passent. Nous procédons toujours ainsi : la Commission propose et le Conseil donne son accord, puis la Commission négocie et le Conseil et le Parlement européen doivent valider le résultat des négociations. Nous opérons donc en toute transparence.

Vous avez raison, la viande bovine est un sujet très sensible. J’ai mandaté des études d’impact pour évaluer les conséquences des accords de libre-échange passés et futurs dans ce secteur. Ma collègue en charge du commerce est également consciente des enjeux. Pour ces produits sensibles, comme le bœuf, le sucre ou l’éthanol, nous estimons qu’il faut fixer des limites, tout en veillant à maximiser les perspectives pour les agriculteurs européens. J’appelle très régulièrement les autres commissaires européens à être extrêmement sensibles à ce secteur important.

Personne n’a évoqué le Japon. Pourtant, notre accord avec ce pays a débuté sur la base de 1 500 tonnes de viande bovine ; aujourd’hui, nous avons atteint 65 000 tonnes. Le commerce des fromages à pâte dure, des alcools, du vin et des produits agricoles transformés est totalement libéralisé et nous disposons de belles opportunités pour le lait écrémé en poudre, le blé et les produits laitiers.

Vous le voyez, il convient de trouver le juste milieu pour aller vers un « donnant-donnant ». Les acteurs extérieurs au secteur agricole vont vous interpeller : pourquoi privez-vous l’industrie ou les services financiers de 4 milliards d’euros de revenus supplémentaires qui découleront de l’accord avec le Mercosur ? Il faut faire des compromis et des concessions en matière agricole pour que les secteurs financiers et industriels, créateurs d’emplois en France comme ailleurs en Europe, bénéficient également de ces accords.

Mais, je le répète, la viande bovine est un sujet très sensible. Je suis parfaitement conscient des risques encourus. Nous verrons quels seront les résultats de la négociation et, in fine, la France et les autres États membres décideront.

Dans tous les accords de libre-échange, nous mentionnons les indications géographiques, importantes pour la France. Le CETA, par exemple, comporte 443 références à des produits alimentaires disposant d’une indication géographique protégée (IGP) au niveau européen. Au départ, les Canadiens, qui n’ont pas d’IGP, n’acceptaient pas notre système. Au bout d’une journée, ils ont changé d’avis. Nous aurions refusé d’avancer dans les négociations tant que les IGP et nos normes n’étaient pas acceptés. C’est la même chose avec le Mercosur et pour tous les autres accords : nous demandons aux autres pays d’accepter notre système. Les Américains ne sont pas d’accord et veulent continuer à utiliser les noms génériques, qui n’offrent pas la protection nécessaire aux produits français et européens.

[…]

Les normes sont parties intégrantes de tous les accords commerciaux que nous signons. Avec le Mercosur, nous n’avons pas encore réussi à trouver un accord tout simplement parce que nous estimions que nous n’étions pas sur un pied d’égalité et que nous étions aussi en désaccord sur un certain nombre de points, notamment au sujet des normes.

Nous avons conclu un accord très positif avec le Japon, qui inclut non seulement les normes en matière d’alimentation, mais aussi les standards dans le domaine de l’environnement et du bien-être animal. C’est dans ce sens que nous continuerons de travailler. La France dégage aujourd’hui, dans le secteur agroalimentaire, un excédent commercial de 13 milliards d’euros vis-à-vis du reste du monde. Cela crée beaucoup d’emplois et je ne vois pas d’alternative, dans les zones rurales, à ce secteur alimentaire orienté vers les exportations et pourvoyeur d’emplois substantiels.

Je ne crois pas qu’il y ait besoin d’instaurer des taxes à l’importation. C’est tout à fait à l’encontre de cet esprit de commerce et d’ouverture. Mais nous pratiquons en revanche des restrictions quantitatives sur les importations, notamment sur les marchés de produits dotés de labels. C’est du donnant-donnant. Pour l’accord économique et commercial global avec le Canada, nous avons ainsi pu, en autorisant l’entrée de viande bovine sur le marché européen, obtenir des débouchés pour les produits fromagers européens au Canada. Dans l’ensemble des accords de libre-échange que nous nouons, nous essayons donc d’atteindre un équilibre raisonnable.

Dans l’accord avec le Japon, des avancées ont été obtenues sur la question de la viande bovine qui pourront, je l’espère, compenser les pertes consenties dans le CETA. Peut-être cela permettra-t-il aussi de rééquilibrer certaines concessions que nous pourrons faire dans le cadre d’un accord avec le Mercosur. Il est nécessaire de comprendre ces équilibres, même s’il s’agit, bien sûr, de questions particulièrement sensibles.

Les organisations de consommateurs sont essentielles pour améliorer le résultat des négociations. Bien entendu, nous essayons de permettre aux coopératives et aux organisations de producteurs de faire entendre une voix forte. Nous les promouvons, nous nous efforçons d’en créer davantage et leur apportons un soutien financier lorsqu’elles souhaitent s’établir.

[…]

Quelques chiffres à propos du CETA. Avant cet accord avec le Canada, 8 000 tonnes de produits fromagers étaient exonérées de taxe à l’import ; il y en a désormais 18 500 tonnes. Les vins et spiritueux, notamment le vin français et le champagne, se heurtaient à de nombreuses barrières à l’importation ; elles se trouvent maintenant éliminées et les provinces canadiennes pourront, dans leurs marchés publics, acquérir vos vins et vos alcools. Les droits de douane de 10 % sur les produits chocolatés disparaissent, de même que les droits de 15 % sur le pain et les gâteaux. Voilà les bénéfices qu’a apportés le CETA. Même avant l’accord, le Canada était notre neuvième partenaire commercial, avec un volume d’échanges de 3,5 milliards d’euros. J’espère que ce volume va croître et nous aider à faire la preuve des avantages apportés par l’accord.

Non moins de 143 IGP ont été reconnues : jamais auparavant le Canada n’avait reconnu de système d’indication géographique européen. Les États-Unis ont fait de leur mieux pour l’en empêcher, mais le Canada a fini par adopter les standards européens, de la même manière que le feront certainement les pays du Mercosur, ou encore le Mexique, si nous avançons dans les négociations avec eux. Autrement, il n’y aura pas d’accord. Les indications géographiques et les mesures sanitaires et phytosanitaires jouent un rôle énorme dans les termes de tout accord.

Pour en savoir plus : André Chassaigne - JB

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